Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/212

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pas les mêmes pour tous les citoyens ; chacun s’aperçoit bientôt que sa croyance n’est pas la croyance universelle ; il est averti de s’en défier ; elle n’a plus à ses yeux le caractère d’une vérité convenue ; et son erreur, s’il y persiste, n’est plus qu’une erreur volontaire. L’expérience a montré combien le pouvoir de ces premières idées s’affaiblit, dès qu’il s’élève contre elles des réclamations : on sait qu’alors la vanité de les rejeter l’emporte souvent sur celle de ne pas changer. Quand bien même ces opinions commenceraient par être à peu près les mêmes dans toutes les familles, bientôt, si une erreur de la puissance publique ne leur of-frait un point de réunion, en les verrait se partager, et dès lors tout le danger disparaîtrait avec l’uniformité. D’ailleurs, les préjugés qu’on prend dans l’éducation domestique sont une suite de l’ordre naturel des sociétés, et une sage instruction, en répandant les lumières, en est le remède ; au lieu que les préjugés donnés par la puissance publique sont une véritable tyrannie, un attentat contre une des parties les plus précieuses de la liberté naturelle.

Les anciens n’avaient aucune notion de ce genre de liberté ; ils semblaient même n’avoir pour but, dans leurs institutions, que de l’anéantir. Ils auraient voulu ne laisser aux hommes que les idées, que les sentiments qui entraient dans le système du législateur. Pour eux la nature n’avait créé que des machines, dont la loi seule devait régler les ressorts et diriger l’action. Ce système était pardonnable sans doute à des sociétés naissantes, où l’on ne voyait autour