Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/219

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La puissance publique doit d’autant moins donner ses opinions pour base de l’instruction, qu’on ne peut la regarder comme au niveau des lumières du siècle où elle s’exerce.

Les dépositaires de la puissance publique resteront toujours à une distance plus ou moins grande du point où sont parvenus les esprits destinés à augmenter la masse des lumières. Quand bien même quelques hommes de génie seraient assis parmi ceux qui exercent le pouvoir, ils ne pourraient jamais avoir dans tous les instants une prépondérance qui leur permît de réduire en pratique les résultats de leurs méditations. Cette confiance dans une raison profonde dont on ne peut suivre la marche, cette soumission volontaire pour le talent, cet hommage à la renommée coûtent trop à l’amour-propre pour devenir, au moins de longtemps, des sentiments habituels, et non une sorte d’obéissance forcée par des circonstances impérieuses et réservée aux temps de danger et de trouble. D’ailleurs, ce qui, à chaque époque, marque le véritable terme des lumières, n’est pas la raison particulière de tel homme de génie qui peut avoir aussi ses préjugés personnels, mais la raison commune des hommes éclairés ; et il faut que l’instruction se rapproche de ce terme des lumières plus que la puissance publique ne peut elle-même s’en rapprocher. Car l’objet de l’instruction n’est pas de perpétuer les connaissances devenues générales dans une nation, mais de les perfectionner et de les étendre.