Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/428

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L’histoire romaine prouverait aussi que l’ambition du sénat a seule causé les malheurs du peuple, et la chute de la république ; que ce corps, dont nos rhéteurs modernes ont tant célébré la vertu, ne fut jamais qu’une troupe de tyrans hypocrites et cruels, tandis que ces tribuns séditieux, voués dans nos livres à l’exécration des siècles, ont presque toujours soutenu la cause de la justice. On verra que ces Gracques, ces Drusus, si longtemps accusés d’avoir employé leur crédit sur les citoyens pauvres pour troubler l’État, cherchaient au contraire à détruire l’influence que la populace de Rome avait dans les affaires publiques ; qu’ils avaient senti combien cette influence favorisait l’empire du sénat, combien elle présentait aux ambitieux de moyens pour s’élever à la tyrannie. Ils voulaient faire sortir de son avilissement la classe opprimée du peuple, pour qu’elle ne devînt pas la dupe de l’hypocrisie d’un Marius ou d’un César, et l’instrument de leurs fureurs. Ils voulaient multiplier le nombre des citoyens indépendants, pour que la troupe servile des clients du sénat et les légions mercenaires d’un consul ne devinssent pas toute la république. L’histoire moderne a jusqu’ici été corrompue, tantôt par la nécessité de ménager les tyrannies établies, tantôt par l’esprit de parti. L’habitude introduite par les théologiens, de décider toutes les questions par l’autorité ou l’usage des temps anciens, avait gagné toutes les parties des connaissances humaines. Chacun cherchait à multiplier les exemples favorables à son opinion, à ses intérêts.