Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/450

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en état de connaître ceux qui sont capables de la maintenir, et l’homme qui, dans les actions de la vie commune, tombe, par le défaut de lumières, dans la dépendance d’un autre homme, peut-il se dire véritablement libre ?

Ne se forme-t-il pas nécessairement alors deux classes de citoyens ? Et qui pourrait soutenir qu’il existe entre elles l’égalité commandée par la nature, sous prétexte que ce n’est pas la force, mais la ruse qui exerce l’empire ? Croit-on que la liberté pût longtemps subsister, même dans les lois ? Combien n’est-il pas aisé de l’anéantir par des institutions qui auraient l’air de la conserver ? Combien n’y a-t-il pas d’exemples de peuples qui se sont crus libres, lors même qu’ils gémissaient sous l’esclavage ? Oui, sans doute, la liberté ne peut périr ; mais c’est uniquement parce que les progrès des lumières en assurent l’éternelle durée ; et l’histoire entière atteste avec combien peu de succès les institutions, en apparence les mieux combinées, ont protégé celle des peuples que leurs lumières ne défendaient pas contre l’hypocrisie des tyrans, qui savent prendre le masque de la popularité, ou celui de la justice. Dire que le peuple en sait assez, s’il sait vouloir être libre, c’est avouer qu’on veut le tromper pour s’en rendre maître ; c’est le dégrader sous la vaine apparence d’un respect perfide.

Le maintien de la liberté et de l’égalité exige donc un certain rapport entre l’instruction des citoyens qui en peuvent recevoir le moins, et les lumières des hommes les plus éclairés, dans le même pays,