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politique continentale du Japon), la conquête soit militaire, soit pacifique de la Chine et de ses 400.000.000 d’habitants serait inévitable.

Ceci n’est ni une hypothèse ni une prophétie, mais simplement ce qui ressort des plans et des intentions avérés du Gouvernement japonais et mis en lumière lors des fameuses vingt et une demandes que Tokio présenta à Pékin le 18 Janvier 1915 et que la Chine dut signer sous la menace d’un Ultimatum et de la guerre[1].

XXI


Une Menace contre la France.

La domination éventuelle de la Chine par le Japon — que l’assujettissement prolongé de la Corée faciliterait — est une menace certaine contre la France, puissance asiatique.

L’assujettissement de la Chine à un état militaire comme l’est organisé le Japon et l’obligation pour ce dernier, dans ce cas, de défendre les provinces du Yunnan — qui abondent en étain et commandent l’arrière de l’Indo-Chine — constituerait une menace politique et stratégique pour cette colonie française, qui est un élément essentiel de gloire et de prestige pour la troisième République.

Cette menace n’est pas une simple déduction stratégique, mais une réalité politique, c’est en effet un des trois principaux points secrets que le Japon veut atteindre.

La dette de la France envers le Japon date du jour de la révision du Traité de Shimonoseki de 1895, lorsque le Gouvernement de Tokio fut obligé de rétrocéder à la Chine la Péninsule du Liao-Tong, y compris la forteresse de Port-Arthur dont la cession « à perpétuité et en toute souveraineté » avait été concédée au Japon comme fruit de sa victoire sur la Chine.

La Russie, l’Allemagne et la France étaient intervenues toutes trois pour cette rétrocession qui rejetait les Japonais hors du continent.

Le Japon dut obéir, mais commença tout de suite à faire échec à la volonté de ces trois Puissances, la possession de la Péninsule du Liao-Tong étant pour lui le facteur essentiel de sa politique continentale qui lui permettait l’accès de la Mandchourie et de la Corée.

Non seulement les nécessités de sa politique, mais aussi l’idée de revanche entraînèrent le Japon dans la vaste préparation que l’on sait qui le conduisit à sa victoire contre la Russie en 1904-05 et qui lui fit reconquérir ce morceau perdu du territoire chinois.

La Guerre de 1914 lui fut une nouvelle ressource en vue de sa conquête continentale et de sa revanche à prendre contre l’Allemagne. Comme il avait défait et supplanté la Russie en Mandchourie Méridionale, le Japon battit l’Allemagne à Kiao-Tcheou et la supplanta dans la province du Chan-Toung.

Il est curieux de remarquer que cette Triple intervention, avant la guerre Russo-Japonaise, s’écrivait dans cet ordre : « Russie, Allemagne et France » ; depuis cette guerre et avant la défaite allemande de Kiao-Tcheou, c’était : « Allemagne, France et Russie » ; et que maintenant, lorsque les Japonais en parlent, ils adoptent ce nouvel ordre : « France, Allemagne et Russie ». Ainsi, dans un récent exposé « Du Cas du Japon », le Baron Makino déclare qu’il est nécessaire de faire ressortir que la rétrocession de la Péninsule du Liao-Tong fut due à la Force Majeure de la Protestation de la France, de l’Allemagne et de la Russie ? Le Vicomte Chinda, autre délégué japonais à la Conférence de la Paix, a cru également utile de faire ressortir que le peuple japonais considère cette intervention comme une « Triple Interférence indigne »[2].

Ces remarques peuvent paraître un peu futiles et méticuleuses au regard de l’esprit français, mais elles sont pleines d’enseignement et même de menace lorsque l’on connaît l’esprit étrange et subtil des Japonais.

Et il n’est pas de moindre importance de considérer que le fait d’une guerre victorieuse du Japon contre la France ferait appliquer tout le système politique et territorial du Japon à l’Indo-Chine, et rendrait le Japon maître de tout le Centre Asiatique et des Îles du Sud, que les publicistes japonais considèrent comme indispensables au plus grand Japon.

  1. La Délégation Chinoise, croyons-nous savoir, demandera l’abrogation de ces Traités qui soumettent par la force la Chine à la domination Japonaise.
  2. « Washington Star », 20 Février 1919.