Page:Conrad - Typhon, trad. Gide, 1918.djvu/56

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sûrement buter contre. Le Nan-Shan avançait pesamment comme une créature exténuée qui marche à sa perte. Les lueurs cuivrées du crépuscule s’éteignirent lentement, et l’obscurité fit éclore au zénith un essaim de larges étoiles, vacillantes, chavirantes, comme remuées par un bizarre souffle, et qui semblaient toutes proches.

À huit heures, Jukes entra dans la chambre de veille pour mettre au pair le journal de bord. Il copia proprement, d’après les indications du brouillon, le nombre de milles, la route du navire et dans la colonne du « vent » fit courir le mot « calme » du haut en bas de la page, depuis midi jusqu’à huit heures.

Il était exaspéré par le roulis monotone et obstiné du navire. Le pesant encrier fuyait, éludait la plume ; on eût dit qu’une perverse humeur l’animait. Dans le grand espace au-dessous de la rubrique « remarques », Jukes écrivit : « Chaleur suffocante », puis ayant mis entre ses dents l’extrémité du porte-plume, à la manière d’une pipe, il s’épongea la face soigneusement.