Page:Conrad - Typhon, trad. Gide, 1918.djvu/84

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et se flattait de pouvoir imaginer le pire ; mais voici qui dépassait étrangement ses ressources imaginatives et qu’il n’aurait jamais cru que navire au monde pût supporter. Il eût professé pareille incrédulité à l’endroit de sa propre personne, sans doute, s’il n’avait été tout absorbé par la lutte épuisante qu’il lui fallait soutenir contre cette force qui prétendait lui arracher son point d’appui. Mais pour se sentir ainsi à moitié noyé, sauvagement secoué, étouffé, maté, il lui fallait tout de même enfin se convaincre qu’il n’était pas encore absolument supprimé.

Il resta ainsi longtemps, très longtemps à ce qu’il crut, misérablement seul, aggripé à la batayolle. Une pluie diluvienne tombait par nappes sur ses épaules. Il faisait pour respirer, de grands efforts convulsifs, et l’eau qu’il avalait était tantôt douce et tantôt salée. La plupart du temps il gardait les yeux énergiquement fermés, comme s’il craignait que l’assaut des éléments n’allât attenter à sa vue. Quand il s’aventurait à entr’ouvrir une paupière clignotante, il puisait quelque