Page:Conrad - Typhon, trad. Gide, 1918.djvu/95

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menton dans un bouillon rapide ; lorsqu’ils ouvrirent les yeux ils purent voir un amoncellement d’écume jeté de-ça de-là parmi ce qui semblait la ruine du navire. Le Nan-Shan avait cédé ; il fonçait. Leurs cœurs cédaient aussi, dans l’attente du coup fatal. Mais soudain tout rebondit, et le Nan-Shan recommença ses sauts désespérés comme pour se dégager de ses décombres.

À travers l’obscurité, les lames semblaient de toutes parts se ruer pour le repousser à sa perte. Dans leur acharnement on sentait de la haine, de la férocité dans leurs coups. On eût dit une créature vivante en proie à une foule enragée, victime offerte, brutalisée, bousculée, culbutée, roulée à terre et piétinée. Le capitaine et Jukes ne se lâchaient plus ; assourdis par le bruit, baillonnés par le vent ; et ce grand tumulte physique qui secouait leur corps, atteignait et désemparait l’âme comme eût fait la passion déchaînée.

Un de ces cris sauvages, effarants, que parfois l’ouragan transporte et qui passent