Page:Considérations sur la France.djvu/71

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perdu son ressort par la mollesse, l’incrédulité et les vices gangreneux qui suivent l’excès de la civilisation, elle ne peut être retrempée que dans le sang. Il n’est pas aisé, à beaucoup près, d’expliquer pourquoi la guerre produit des effets différens, suivant les différentes circonstances. Ce qu’on voit assez clairement, c’est que le genre humain peut être considéré comme un arbre qu’une main invisible taille sans relâche, et qui gagne souvent à cette opération. A la vérité, si l’on touche le tronc, ou si l’on coupe en tête de saule, l’arbre peut périr : mais qui connoît les limites pour l’arbre humain ? Ce que nous savons, c’est que l’extrême carnage s’allie souvent avec l’extrême population, comme on l’a vu surtout dans les anciennes républiques grecques, et en Espagne sous la domination des Arabes[1]. Les

  1. L’Espagne, à cette époque, a contenu jusqu’à quarante millions d’habitans ; aujourd’hui elle n’en a que dix. - Autrefois la Grèce florissoit au sein des plus cruelles guerres ; le sang y couloit à flots, et tout le pays étoit couvert d’hommes. Il sembloit, dit Machiavel, qu’au milieu des meurtres, des proscriptions, des guerres civiles, notre République en devînt plus puissante, etc. Rousseau, Contrat Social, liv. III, chap. X.