Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/174

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Imposez aux hommes qui veulent y briller la nécessité d’avoir du talent. Le grand nombre se réfugiera dans la raison, comme pis aller ; mais si vous ouvrez à ce grand nombre une carrière où chacun puisse faire quelques pas, personne ne voudra se refuser cet avantage. Chacun se donnera son jour d’éloquence et son heure de célébrité. Chacun, pouvant faire un discours écrit ou le commander, prétendra marquer son existence législative, et les assemblées deviendront des académies, avec cette différence, que les harangues académiques y décideront et du sort, et des propriétés, et même de la vie des citoyens.

Je me refuse à citer d’incroyables preuves de ce désir de faire effet aux époques les plus déplorables de notre révolution. J’ai vu des représentants chercher des sujets de discours, pour que leur nom ne fût pas étranger aux grands mouvements qui avaient eu lieu : le sujet trouvé, le discours écrit, le résultat leur était indifférent. En bannissant les discours écrits, nous créerons dans nos assemblées ce qui leur a toujours manqué, cette majorité silencieuse, qui, disciplinée, pour ainsi dire, par la supériorité des hommes de talent, est réduite à les écouter faute de pouvoir parler à leur place ; qui s’éclaire, parce qu’elle est condamnée à être modeste, et qui devient raisonnable en se taisant[1].

La présence des ministres dans les assemblées achè-

  1. En Angleterre, l’usage parlementaire défend les discours écrits ; il est seulement permis de consulter des notes pour aider la mémoire. Ce n’est pas le seul emprunt qu’il serait désirable de faire au parlement anglais ; rien n’est plus sage que les mesures établies pour que les débats ne s’écartent point de la convenance et de la vérité. On peut consulter à ce sujet le savant traité de Thomas Erskine May : A practical treatise of the Law, Privileges, Proceedings, and Usage of Parliament, London, 1859, chap. xi.
    (Note de M. Laboulaye.)