Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/179

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vu siéger, dans nos législatures, des individus éclairés ; mais il faut convenir néanmoins qu’il s’y est introduit beaucoup d’hommes qui, n’ayant ni propriétés, ni facultés éminentes, n’auraient jamais obtenu, par un mode d’élection vraiment populaire, les suffrages de la nation. On n’attire les regards de plusieurs milliers de citoyens que par une grande opulence ou par une réputation étendue. Quelques relations domestiques accaparent une majorité dans une réunion de deux à trois cents. Pour être nommé par le peuple, il faut avoir des partisans placés au-delà des alentours ordinaires, et par conséquent un mérite positif. Pour être choisi par quelques électeurs, il suffit de n’avoir point d’ennemis. L’avantage est tout entier pour les qualités négatives, et la chance est même contre le talent. Aussi la représentation nationale, parmi nous, a-t-elle été souvent moins avancée que l’opinion sur beaucoup d’objets.

Il faut d’ailleurs, pour que l’élection soit populaire, qu’elle soit essentiellement libre. Or, à quelle époque l’a-t-elle été durant la révolution ? Est-ce à la fin de 1791, lorsque la France était agitée par des passions de tous genres ? Est-ce à la fin de 1792, après les massacres de septembre ? Est-ce en 1795, après la journée du 13 vendémiaire ? Est-ce en 1799, après le 18 fructidor ? Est-ce en l’an VII, lorsqu’un acte arbitraire avait frappé de nullité l’exercice des droits du peuple, et que les citoyens de tous les partis refusaient de concourir à des

    d’une manière plus ou moins exacte l’opinion de leurs commettants. Cette opinion, au contraire, ne pouvait pénétrer dans les colléges électoraux que lentement et partiellement. Elle n’y était jamais en majorité ; et, quand elle devenait celle du collége, elle avait cessé le plus souvent d’être celle du peuple. Je ne puis m’empêcher de remarquer que je publiais ce blâme des colléges électoraux au moment où Bonaparte venait, de les rétablir dans son acte additionnel, dont on a voulu rejeter sur moi la responsabilité tout entière.