Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/202

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J’avais vingt-deux ans quand la révolution a commencé. J’ai vu alors qu’elle était causée par la dilapidation du trésor public, d’où vint le déficit. Je ne veux plus de révolution : celle qui a eu lieu m’a trop fait souffrir. Puisque c’est la dilapidation du trésor public qui l’a occasionnée, il faut, pour que nous n’en ayons jamais d’autres, que le trésor ne soit plus dilapidé. La Charte y a pourvu, en soumettant à la chambre des députés ce qu’on nomme le budget des ministres, c’est-à-dire le montant des dépenses qui leur sont permises. Si les ministres n’excèdent jamais leur budget, il n’y aura point de dilapidation, ni par conséquent de révolution à craindre, au moins pour cette cause. Les députés sont chargés de surveiller les ministres. C’est à eux à empêcher que ceux-ci n’excèdent leur budget. Ma première règle doit donc être de nommer des hommes qui exercent avec courage cette surveillance. Pour cela, il faut que ces hommes n’aient pas d’intérêts contraires.

Je me souviens à ce sujet que mon père, qui était plus riche que moi, parce que le maximum ne l’avait pas ruiné, avait un caissier qui dirigeait ses affaires. À la fin de l’année, il examinait ses comptes, ou quelquefois, faute de temps, il les faisait examiner par un autre. Un jour son caissier lui proposa de charger de cet examen un homme que le caissier employait et payait comme secrétaire, « Me croyez-vous fou, lui dit mon père ? Prendrai-je pour apurer vos comptes votre obligé, votre salarié, votre dépendant ? Ce serait comme si je vous prenais vous-même. »

Depuis que je suis électeur, j’applique cette réponse de mon père à l’élection de nos députés. Les ministres sont chargés de gérer les affaires de la nation : les députés, d’examiner la gestion des ministres. Si mon père, négociant, eût été fou de faire apurer les comptes de