Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on immole et de la faiblesse que l’on foule aux pieds.

D’où vient donc que cette alliée constante, cet appui nécessaire, cette lueur unique au milieu des ténèbres qui nous environnent, a, dans tous les siècles, été en butte à des attaques fréquentes et acharnées ? D’où vient que la classe qui s’en est déclarée l’ennemie a presque toujours été la plus éclairée, la plus indépendante et la plus instruite ? C’est qu’on a dénaturé la religion ; l’on a poursuivi l’homme dans ce dernier asile, dans ce sanctuaire intime de son existence : la religion s’est transformée entre les mains de l’autorité en institution menaçante. Après avoir créé la plupart et les plus poignantes de nos douleurs, le pouvoir a prétendu commander à l’homme jusque dans ses consolations. La religion dogmatique, puissance hostile et persécutrice, a voulu soumettre à son joug l’imagination dans ses conjectures, et le cœur dans ses besoins. Elle est devenue un fléau plus terrible que ceux qu’elle était destinée à faire oublier.

De là, dans tous les siècles où les hommes ont réclamé leur indépendance morale, cette résistance à la religion, qui a paru dirigée contre la plus douce des affections, et qui ne l’était en effet que contre la plus oppressive des tyrannies. L’intolérance, en plaçant la force du côté de la foi, a placé le courage du côté du doute : la fureur des croyants a exalté la vanité des incrédules, et l’homme est arrivé de la sorte à se faire un mérite d’un système qu’il eût naturellement dû considérer comme un malheur. La persécution provoque la résistance. L’autorité, menaçant une opinion quelle qu’elle soit, excite à la manifestation de cette opinion tous les esprits qui ont quelque valeur. Il y a dans l’homme un principe de révolte contre toute contrainte intellectuelle. Ce principe peut aller jusqu’à la fureur ; il peut être