Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et entoureraient d’un intérêt général les plus coupables comme les plus innocents. Il est également impossible, aujourd’hui que le système continental est détruit et que la France a cessé d’être une île inabordable aux autres peuples européens, d’empêcher que les brochures dont on interdirait l’impression en France n’y pénétrassent de l’étranger. La grande confraternité de la civilisation est rétablie ; des voyageurs nombreux accourent déjà pour jouir de la liberté, de la sûreté, des avantages de tout genre qui nous sont rendus. Les arrêtera-t-on sur la frontière ? Mettra-t-on sous le séquestre les livres qu’ils auront apportés pour leur usage ? Sans ces précautions, toutes les autres seront inutiles. Les livres ainsi apportés seront à la disposition des amis du propriétaire et des amis de ses amis. Or, l’intérêt spéculera bientôt sur la curiosité générale. Des colporteurs de brochures interdites se glisseront en France sous le costume de voyageurs. Des communications secrètes s’établiront. Toutes les fois qu’une chance de gain se présente, l’industrie s’en empare, et, sous tout gouvernement qui n’est pas une tyrannie complète, l’industrie est invincible.

On se flatterait en vain de voir les brochures moins multipliées et moins répandues, parce qu’elles n’arriveraient que par occasion, et par là même à un plus petit nombre d’exemplaires et à plus de frais. Nous devrons sûrement bientôt aux mesures du gouvernement, et à la coopération de ces corps qui ont repris une noble et nécessaire indépendance, un accroissement d’aisance pour toutes les classes. Celle qui a l’habitude et le besoin de lire pourra consacrer une plus grande partie de son superflu à satisfaire sa curiosité. La prospérité même de la France tournera ainsi contre les mesures prohibitives, si l’on veut persister dans le système prohibitif.