Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/334

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classes laborieuses leur subsistance péniblement acquise, ni ces classes opprimées qui voient cette subsistance arrachée de leurs mains, pour enrichir des maîtres avides, ne peuvent rester fidèles aux lois de l’équité, dans cette lutte de la faiblesse contre la violence, de la pauvreté contre l’avarice, du dénûment contre la spoliation.

Et l’on se tromperait en supposant que l’inconvénient des impôts excessifs se borne à la misère et aux privations du peuple. Il en résulte un autre mal non moins grand, que l’on ne paraît pas jusqu’à présent avoir suffisamment remarqué.

La possession d’une très-grande fortune inspire même aux particuliers des désirs, des caprices, des fantaisies désordonnées qu’ils n’auraient pas conçues dans une situation plus restreinte. Il en est de même des hommes au pouvoir. Ce qui a suggéré aux ministères anglais, depuis cinquante ans, des prétentions si exagérées et si insolentes, c’est la trop grande facilité qu’ils ont trouvée à se procurer d’immenses trésors par des taxes énormes. Le superflu de l’opulence enivre, comme le superflu de la force, parce que l’opulence est une force, et de toutes la plus réelle ; de là des plans, des ambitions, des projets, qu’un ministère qui n’aurait possédé que le nécessaire n’eût jamais formés. Ainsi, le peuple n’est pas misérable seulement parce qu’il paye au delà de ses moyens, mais il est misérable encore par l’usage que l’on fait de ce qu’il paye. Ses sacrifices tournent contre lui. Il ne paye plus des impôts pour avoir la paix assurée par un bon système de défense. Il en paye pour avoir la guerre, parce que l’autorité, fière de ses trésors, veut les dépenser glorieusement. Le peuple paye, non pour que le bon ordre soit maintenu dans l’intérieur, mais pour que des favoris enrichis de ses dépouilles