Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas pour développer de vaines théories, mais pour établir, s’il se peut, quelques vérités pratiques. Nous proposons donc pour première base que la situation du monde moderne, les relations des peuples entre eux, la nature actuelle des choses, en un mot, nécessitent pour tous les gouvernements et toutes les nations des troupes soldées et perpétuellement sur pied.

Faute d’avoir ainsi posé la question, l’auteur de l’Esprit des lois ne la résout point. Il dit d’abord[1] qu’il faut que l’armée soit peuple et qu’elle ait le même esprit que le peuple, et pour lui donner cet esprit, il propose que ceux qu’on emploie dans l’armée aient assez de bien pour répondre de leur conduite, et ne soient enrôlés que pour un an, deux conditions impossibles parmi nous. Que s’il y a un corps de troupes permanent, il veut que la puissance législative le puisse dissoudre à son gré. Mais ce corps de troupes, revêtu qu’il sera de toute la force matérielle de l’État, pliera-t-il sans murmure devant une autorité morale ? Montesquieu établit fort bien ce qui devrait être, mais il ne donne aucun moyen pour que cela soit.

Si la liberté depuis cent ans s’est maintenue en Angleterre, c’est qu’aucune force militaire n’est nécessaire dans l’intérieur ; et cette circonstance particulière à une île rend son exemple inapplicable au continent. L’Assemblée constituante s’est débattue contre cette difficulté presque insoluble. Elle a senti que remettre au roi la disposition de deux cent mille hommes assermentés à l’obéissance, et soumis à des chefs nommés par lui, serait mettre en danger toute constitution. Elle a en conséquence tellement relâché les liens de la discipline, qu’une armée, formée d’après ces principes, eût

  1. Esprit des Lois, t. XI, p. 6.