Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/337

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que des ennemis osent attaquer un peuple jusque sur son territoire, les citoyens deviennent soldats pour les repousser. Ils étaient citoyens, ils étaient les premiers des citoyens, ceux qui ont affranchi nos frontières de l’étranger qui les profanait, ceux qui ont renversé dans la poudre les rois qui nous avaient provoqués. Cette gloire qu’ils ont acquise, ils vont la couronner encore par une gloire nouvelle. Une agression plus injuste que celle qu’ils ont châtiée il y a vingt ans, les appelle à de nouveaux efforts et à de nouveaux triomphes.

Mais des circonstances extraordinaires n’ont nul rapport avec l’organisation habituelle de la force armée, et c’est d’un état stable et régulier que nous avons à parler.

Nous commencerons par rejeter ces plans chimériques de dissolution de toute armée permanente, plans que nous ont offerts plusieurs fois dans leurs écrits des rêveurs philanthropes[1]. Lors même que ce projet serait exécutable, il ne serait pas exécuté. Or, nous n’écrivons

  1. La suppression des armées permanentes a été l’un des thèmes favoris de la démocratie dite radicale-socialiste ; les candidats à la députation pouvaient s’exercer agréablement sur ce sujet, et flatter doucement leurs électeurs en leur faisant entrevoir la suppression du service militaire ; mais un esprit aussi net et aussi précis que Benjamin Constant ne pouvait se rallier à cette utopie. La raison, les intérêts matériels, le sentiment religieux, tout proteste sans doute contre la barbarie de la guerre ; mais ce n’est ni la raison ni le sentiment religieux qui mènent les peuples, et tout en réprouvant les jeux sanglants de la force et du hasard, comme disait M. Guizot, on reste convaincu, quand on s’en tient à la réalité, qu’il est des moments dans la vie des peuples où le recours à la force s’impose avec l’inexorable rigueur de la fatalité. Or, du moment où les armées permanentes ne sont point supprimées chez tous les peuples, il y aurait imprudence extrême à les supprimer au milieu de voisins possédant des troupes régulières : car l’histoire de tous les peuples est là pour montrer que les levées en masse, avant de pouvoir lutter avec avantage contre les troupes, ont besoin de faire un apprentissage ; la guerre de 1870 ne l’a que trop prouvé.
    (Note de l’éditeur.)