Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/387

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celles des individus. La force est toujours derrière ces erreurs, prête à leur consacrer ses moyens terribles.

Les partisans de la liberté antique devinrent furieux de ce que les modernes ne voulaient pas être libres, suivant leur méthode. Ils redoublèrent de vexations, le peuple redoubla de résistance, et les crimes succédèrent aux erreurs.

« Pour la tyrannie, dit Machiavel, il faut tout changer. » On peut dire aussi que pour tout changer il faut la tyrannie. Nos législateurs le sentirent, et ils proclamèrent que le despotisme était indispensable pour fonder la liberté.

Il y a des axiomes qui paraissent clairs, parce qu’ils sont courts. Les hommes rusés les jettent, comme pâture, à la foule ; les sots s’en emparent, parce qu’ils leur épargnent la peine de réfléchir, et ils les répètent pour se donner l’air de les comprendre. Des propositions dont l’absurdité nous étonne, quand elles sont analysées, se glissent ainsi dans mille têtes, sont redites par mille bouches, et l’on est réduit sans cesse à démontrer l’évidence.

De ce nombre est l’axiome que nous venons de citer : il a fait retentir dix ans les tribunes françaises : que signifie-t-il néanmoins ? La liberté n’est d’un prix inestimable que parce qu’elle donne à notre esprit de la justesse, à notre caractère de la force, à notre âme de l’élévation. Mais ces bienfaits ne tiennent-ils pas à ce que la liberté existe ? Si, pour l’introduire, vous avez recours au despotisme, qu’établissez-vous ? de vaines formes. Le fonds vous échappera toujours.

Que faut-il dire à une nation pour qu’elle se pénètre des avantages de la liberté ? Vous étiez opprimés par une minorité privilégiée ; le grand nombre était immolé à l’ambition de quelques-uns ; des lois inégales ap-