Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/388

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puyaient le fort contre le faible ; vous n’aviez que des jouissances précaires, qu’à chaque instant l’arbitraire menaçait de vous enlever ; vous ne contribuiez ni à la confection de vos lois, ni à l’élection de vos magistrats ; tous ces abus vont disparaître, tous vos droits vous seront rendus.

Mais ceux qui prétendent fonder la liberté par le despotisme, que peuvent-ils dire ? Aucun privilège ne pèsera sur les citoyens, mais tous les jours les hommes suspects seront frappés sans être entendus ; la vertu sera la première ou la seule distinction, mais les plus persécuteurs et les plus violents se créeront un patriciat de tyrannie maintenu par la terreur ; les lois protégeront les propriétés, mais l’expropriation sera le partage des individus ou des classes soupçonnées ; le peuple élira ses magistrats, mais, s’il ne les élit dans le sens prescrit d’avance, ses choix seront déclarés nuls ; les opinions seront libres, mais toute opinion contraire, non-seulement au système général, mais aux moindres mesures de circonstance, sera punie comme un attentat.

Tel fut le langage, telle fut la pratique des réformateurs de la France, durant de longues années.

Ils remportèrent des victoires apparentes, mais ces victoires étaient contraires à l’esprit de l’institution qu’ils voulaient établir ; et comme elles ne persuadaient point les vaincus, elles ne rassuraient point les vainqueurs. Pour former les hommes à la liberté, on les entourait de l’effroi des supplices ; on rappelait avec exagération les tentatives qu’une autorité détruite s’était permises contre la pensée, et l’asservissement de la pensée était le caractère distinctif de la nouvelle autorité ; on déclamait contre les gouvernements tyranniques, et l’on organisait le plus tyrannique des gouvernements.