Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/419

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dont le premier principe était d’abréger les formes, comme si toute abréviation des formes n’était pas le plus révoltant sophisme ? Car si les formes sont inutiles, tous les tribunaux doivent les bannir ; si elles sont nécessaires, tous doivent les respecter ; et certes, plus l’accusation est grave, moins l’examen est superflu. N’avons-nous pas vu siéger sans cesse, parmi les juges, des hommes dont le vêtement seul annonçait qu’ils étaient voués à l’obéissance, et ne pouvaient en conséquence être des juges indépendants ?

Nos neveux ne croiront pas, s’ils ont quelque sentiment de la dignité humaine, qu’il fut un temps où des hommes, illustrés sans doute par d’immortels exploits, mais nourris sous la tente, et ignorants de la vie civile, interrogeaient des prévenus qu’ils étaient incapables de comprendre, condamnaient sans appel des citoyens qu’ils n’avaient pas le droit de juger. Nos neveux ne croiront pas, s’ils ne sont le plus avili des peuples, qu’on ait fait comparaître devant des tribunaux militaires, des législateurs, des écrivains, des accusés de délits politiques, donnant ainsi, par une dérision féroce, pour juge à l’opinion et à la pensée, le courage sans lumière et la soumission sans intelligence. Ils ne croiront pas non plus qu’on ait imposé à des guerriers revenant de la victoire, couverts de lauriers que rien n’avait flétris, l’horrible tâche de se transformer en bourreaux, de poursuivre, de saisir, d’égorger des citoyens, dont les noms, comme les crimes, leur étaient inconnus. Non, tel ne fut jamais, s’écrieront-ils, le prix des exploits, la pompe triomphale ! Non, ce n’est pas ainsi que les défenseurs de la France reparaissaient dans leur patrie, et saluaient le sol natal !

La faute, certes, n’en était pas à ces défenseurs. Mille fois je les ai vus gémir de leur triste obéissance. J’aime