Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/433

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tes ne sont donc plus ce qu’ils étaient du temps de M. de Montesquieu.

Il est vrai, l’on ne réduit pas les vaincus en esclavage, on ne les dépouille pas de la propriété de leurs terres, on ne les condamne point à les cultiver pour d’autres, on ne les déclare pas une race subordonnée, appartenant aux vainqueurs.

Leur situation paraît donc encore à l’extérieur plus tolérable qu’autrefois. Quand l’orage est passé, tout semble rentrer dans l’ordre. Les cités sont debout ; les marchés se repeuplent ; les boutiques se rouvrent ; et sauf le pillage accidentel, qui est un malheur de la circonstance, sauf l’insolence habituelle, qui est un droit de la victoire, sauf les contributions, qui, méthodiquement imposées, prennent une douce apparence de régularité, et qui cessent, ou doivent cesser, lorsque la conquête est accomplie, on dirait d’abord qu’il n’y a de changé que les noms et quelques formes. Entrons néanmoins plus profondément dans la question.

La conquête, chez les anciens, détruisait souvent les nations entières ; mais, quand elle ne les détruisait pas, elle laissait intacts tous les objets de l’attachement le plus vif des hommes, leurs mœurs, leurs lois, leurs usages, leurs dieux. Il n’en est pas de même dans les temps modernes. La vanité de la civilisation est plus tourmentante que l’orgueil de la barbarie. Celui-ci voit en masse ; la première examine avec inquiétude et en détail.

Les conquérants de l’antiquité, satisfaits d’une obéissance générale, ne s’informaient pas de la vie domestique de leurs esclaves ni de leurs relations locales. Les peuples soumis retrouvaient presque en entier, au fond de leurs provinces lointaines, ce qui constitue le charme de la vie : les habitudes de l’enfance, les pratiques consacrées, cet entourage de souvenirs, qui, malgré l’assu-