Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/434

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jettissement politique, conserve à un pays l’air d’une patrie.

Les conquérants de nos jours, peuples ou princes, veulent que leur empire ne présente qu’une surface unie, sur laquelle l’œil superbe du pouvoir se promène, sans rencontrer aucune inégalité qui le blesse ou borne sa vue. Le même code, les mêmes mesures, les mêmes règlements, et, si l’on peut y parvenir graduellement, la même langue : voilà ce qu’on proclame la perfection de toute organisation sociale. La religion fait exception : peut-être est-ce parce qu’on la méprise, la regardant comme une erreur usée, qu’il faut laisser mourir en paix. Mais cette exception est la seule ; et l’on s’en dédommage, en séparant, le plus que l’on peut, la religion des intérêts de la terre.

Sur tout le reste, le grand mot aujourd’hui, c’est l’uniformité. C’est dommage qu’on ne puisse abattre toutes les villes pour les rebâtir toutes sur le même plan, niveler toutes les montagnes, pour que le terrain soit partout égal : et je m’étonne qu’on n’ait pas ordonné à tous les habitants de porter le même costume, afin que le maître ne rencontrât plus de bigarrure irrégulière et de choquante variété.

Il en résulte que les vaincus, après les calamités qu’ils ont supportées dans leurs défaites, ont à subir un nouveau genre de malheurs. Ils ont d’abord été victimes d’une chimère de gloire, ils sont victimes ensuite d’une chimère d’uniformité.