Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/436

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de mensonges, dicté tant d’ordres de dévastation ? Invoquerait-il la justice ? il l’a violée. L’humanité ? il l’a foulée aux pieds. La foi jurée ? toutes ses entreprises ont commencé par le parjure. La sainteté des alliances ? il a traité ses alliés comme ses esclaves. Quel peuple aurait pu s’allier de bonne foi, s’associer volontairement à ces rêves gigantesques ? Tous auraient sans doute courbé momentanément la tête sous le joug dominateur ; mais ils l’auraient considéré comme une calamité passagère. Ils auraient attendu que le torrent eût cessé de rouler ses ondes, certains qu’il se perdrait un jour dans le sable aride, et qu’on pourrait fouler à pied sec le sol sillonné par ses ravages.

Compterait-il sur les secours de ses nouveaux sujets ? Il les a privés de tout ce qu’ils chérissaient et respectaient ; il a troublé la cendre de leurs pères, et fait couler le sang de leurs fils.

Tous se coaliseraient contre lui. La paix, l’indépendance, la justice, seraient les mots du ralliement général ; et par cela même qu’ils auraient été longtemps proscrits, ces mots auraient acquis une puissance presque magique. Les hommes, pour avoir été les jouets de la folie, auraient conçu l’enthousiasme du bon sens. Un cri de délivrance, un cri d’union, retentirait d’un bout du globe à l’autre. La pudeur publique se communiquerait aux plus indécis ; elle entraînerait les plus timides. Nul n’oserait demeurer neutre, de peur d’être traître envers soi-même.

Le conquérant verrait alors qu’il a trop présumé de la dégradation du monde. Il apprendrait que les calculs fondés sur l’immoralité et sur la bassesse, ces calculs dont il se vantait naguère comme d’une découverte sublime, sont aussi incertains qu’ils sont étroits, aussi trompeurs qu’ils sont ignobles. Il riait de la niaiserie de