Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/62

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ministre qui proposât des lois pareilles. Ainsi la différence entre le pouvoir royal et le pouvoir ministériel est constatée par l’exemple même, allégué pour l’obscurcir. Le caractère neutre et purement préservateur du premier est bien manifeste : il est évident qu’entre les deux le second seul est actif, puisque si ce dernier ne voulait pas agir, le premier ne trouverait nul moyen de l’y contraindre, et n’aurait pas non plus de moyen d’agir sans lui : et remarquez que cette position du pouvoir royal n’a que des avantages et jamais d’inconvénients, car, en même temps qu’un roi d’Angleterre rencontrerait dans le refus d’agir de son ministère un insurmontable obstacle à proposer des lois contraires à l’esprit du siècle et à la liberté religieuse, cette opposition ministérielle serait impuissante, si elle voulait empêcher le pouvoir royal de faire proposer des lois conformes à cet esprit et favorables à cette liberté. Le roi n’aurait qu’à changer de ministres, et tandis que nul ne se présenterait pour braver l’opinion et pour lutter de front contre les lumières, il s’en offrirait mille pour être les organes de mesures populaires, que la nation appuierait de son approbation et de son aveu[1].

Je ne veux point nier qu’il n’y ait dans le tableau d’un pouvoir monarchique plus animé, plus actif, quelque chose de séduisant, mais les institutions dépendent des temps beaucoup plus que des hommes. L’action directe du monarque s’affaiblit toujours inévitablement, en rai-

  1. Ce que je dis ici du respect, ou de la condescendance des ministres anglais, pour l’opinion nationale, ne s’applique malheureusement qu’à leur administration intérieure. Le renouvellement de la guerre, sans prétexte, sans excuse, en réponse aux démonstrations les plus modérées, aux intentions pacifiques les plus manifestement sincères, ne prouve que trop que pour les affaires du continent, ce ministère anglais ne consulte ni l’inclination du peuple, ni sa raison, ni ses intérêts.