Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/53

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Je vous demande pour dernière grâce, si vous rencontrez M. de L…[1], s’il vous demande une explication, d’y mettre de la modération. J’ai mis l’état où il m’a vue sur le compte d’un abattement nerveux. Je l’ai aussi attribué à ce que, voulant lui faire mystère de mon voyage [ce qui était vrai], je n’avais pu résister à la tristesse que ce moment m’inspirait. Au reste, je n’ai rien dit qui fût contraire à la dignité de celui que j’ai tant aimé. J’ai dit que si je vous aimais, vous seul pouviez me guérir. Trahie par vous, je n’ai pu rien souffrir qui vous blessât. Cependant quels détails cruels il m’a fallu entendre ! Adieu pour toujours !… Je suis persuadée que la réflexion aura calmé M. de L… Il est malheureux. Puisse-t-il cesser de vouloir une chose impossible. Je ne puis rien pour lui. Mais mon cœur, quoique déchiré, quoique abattu par tant de souffrances, lui porte encore une tendre affection. Adieu, Benjamin ! Oh ! quel charme je trouvais à tracer ce nom ! Je ne l’écrirai plus, un jour peut-être il me fera horreur. Avec quel art profond vous vous êtes fait aimer. Je ne guérirai jamais, je le sais. Tel qu’un malheureux qui s’est abreuvé d’un mortel poison, il échappe à la mort par les prompts secours qu’on lui donne, mais sa vie s’écoule dans des souffrances

  1. Auguste de Lamoignon.