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Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/94

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parcourir. Mais, menacée elle-même au moment où elle venait de voir disparaître tous les objets de son affection, elle n’eut pas le temps, pour ainsi dire, de se livrer à ses regrets. Elle fut obligée trop rapidement de s’occuper d’elle pour que d’autres pensées continuassent à dominer dans son âme : sa maladie lui servit en quelque sorte de consolation, et la nature, par un instinct involontaire, recula devant la destruction qui s’avançait et la rattacha à l’existence. Dans les dernières semaines qui précédèrent sa mort, elle semblait se livrer à mille projets qui supposaient un long avenir ; elle détaillait avec intérêt ses plans d’établissement, de société et de fortune ; les soins de ses amis l’attendrissaient ; elle s’étonnait elle-même de se sentir reprendre à la vie. C’était pour ceux qui l’entouraient une douleur de plus, une douleur d’autant plus amère qu’il fallait lui en dérober jusqu’à la moindre trace. Elle disposait dans ses discours d’une longue suite d’années, tandis qu’un petit nombre de jours lui restait à peine. On voyait en quelque sorte, derrière les chimères dont son imagination semblait se repaître, la mort souriant comme avec ironie. Je me reprochais quelquefois ma dissimulation complaisante. Je souffrais de cette barrière qu’élevait entre Julie et moi cette contrainte perpétuelle. Je m’accusais de blesser l’amitié, en la trompant, même pour adoucir