Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/18

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avait été un peu équivoque pendant ces dernières recommandations. Il existait dans son esprit un combat évident entre un amour inné de la désobéissance, et une crainte secrète des moyens dont son maître était informé de sa conduite. Tant que ce dernier fut en vue, le nègre le suivit des yeux avec inquiétude, et lorsqu’il eut dépassé un angle, Euclide échangea pendant un instant quelques regards avec un autre nègre qui était sur un stoop voisin. Tous les deux hochèrent la tête avec expression, firent un bruyant éclat de rire et se retirèrent. Ce soir-là, la fidélité avec laquelle le domestique de confiance veilla aux intérêts de son maître absent prouva qu’il sentait que sa propre existence était identifiée à celui qui réclamait un droit si intime sur sa personne, et, juste au moment où six heures sonnèrent, lui et l’autre nègre dont nous avons fait mention, montèrent les gras et lourds chevaux, et galopèrent avec autant de vitesse qu’il leur fut possible pendant plusieurs milles dans l’intérieur de l’île pour assister à une joyeuse fête, dans un des repaires où se réunissaient ordinairement les gens de leur couleur et de leur condition.

Si l’alderman Myndert van Beverout avait pu prévoir le malheur qui devait suivre son absence, il est probable que son maintien eût été moins grave, tandis qu’il poursuivait sa route. On peut supposer qu’il avait confiance en la vertu de ses menaces, à la sécurité qui prit possession de ses traits, dont le calme n’était jamais troublé dans un effort naturel. Le robuste bourgeois avait un peu plus de cinquante ans ; et un plaisant d’Angleterre, qui avait conservé, loin de sa patrie, l’humeur de sa nation, s’avisa un jour, devant le conseil de ville, de le dépeindre comme un homme d’allitérations[1] ; lorsqu’il fut forcé d’expliquer ce manque de respect au parlement, le faiseur de jeux de mots s’en tira, en disant que son adversaire était court et carré dans sa taille, rond, rouge et risible de visage, fier et froid dans ses manières. Mais, comme c’est l’ordinaire dans toutes les plaisanteries affectées, il y avait plus de malice que de vérité dans cette description ; cependant, après avoir fait la part de l’exagération causée par la rivalité politique, il restait encore assez de réalité dans ce portrait du bourgeois hollandais, pour que le lecteur n’en ait pas besoin d’un autre dans le cours de cet ouvrage. Si nous ajoutons que

  1. La répétition des mêmes lettres (allitération), dans ces diverses épithètes, explique le jeu de mots, qui est plus de l’esprit de la langue anglaise que de la nôtre.