Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/59

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grands mouvements de l’âme. Tout le monde le lit en France, à la province comme à la ville. Si Sa Majesté Louis XIV n’avait pas été assez mal avisé pour chasser les huguenots, j’irais à Paris tout, exprès pour entendre le Cid !

— Je vous souhaite un bon voyage, monsieur Queue de Pavillon. Nous pouvons nous rencontrer sur la route, en attendant mon départ. Le temps peut venir où nous causerons avec une mer roulante entre nous. Jusque-là, bien du bonheur !

— Adieu, Monsieur, répondit François, en saluant avec une cérémonie qui lui était devenue trop habituelle pour être oubliée. Si nous ne nous rencontrons que sur la mer, nous ne nous rencontrerons jamais. Ah ! ah ! monsieur le marin n’aime pas entendre parler de la gloire de la France ; je voudrais bien pouvoir lire ce maudit Shak-à-Spear, pour voir combien l’immortel Corneille lui est supérieur. Ma foi oui, Monsieur, Pierre Corneille est vraiment un homme illustre.

Le fidèle et vieux valet, très-satisfait de lui-même, poursuivit alors son chemin vers le large chêne sur le cap, car, au moment où il avait cessé de parler, le marin s’était avancé plus profondément dans le bois, et l’avait laissé seul. Fier de la manière dont il avait répondu à l’audacieux étranger, plus fier encore de la réputation de l’auteur dont la gloire s’était répandue en France longtemps avant qu’il eût quitté l’Europe, et satisfait d’avoir contribué de son faible pouvoir à soutenir l’honneur de son pays bien-aimé, l’honnête François mit avec affection son volume sous son bras, et se hâta d’aller rejoindre sa maîtresse.

Bien que la position de l’île des États et des baies qui l’entourent soit familière à tout Manhattanese, une explication des localités pourra être agréable aux lecteurs qui sont éloignés du lieu où se passe la scène de cet ouvrage.

On a déjà dit que la principale communication entre les baies de Rariton et York s’appelle les Narrows. À l’embouchure de ce passage, la côte des États s’élève jusqu’à un cap qui est suspendu sur les eaux, à peu près comme le cap fabuleux de Misène. De ce point élevé, non-seulement la vue domine les deux États et la ville, mais elle s’étend encore bien au-delà de Sandy-Hook, dans la pleine mer. C’est là que de nos jours on vient à la découverte des navires, et c’est de là que la nouvelle de l’arrivée d’un vaisseau attendu est communiquée au marchand inquiet, par le