Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demande me fût accordée, répondit le duc de Sainte-Agathe, reprenant son manteau et son masque dont il ne s’était pas entièrement séparé. Adieu, noble signore ; je ne cesserai de donner de fréquents avis au Castillan ; en retour, je remets mon affaire à la justice des patriciens, et en particulier à votre bonne amitié.

Le signor Gradenigo reconduisit son hôte à travers la longue suite de ses appartements jusqu’à l’antichambre, où il le confia aux soins son valet.

— Pour que ce jeune homme montre plus d’habileté dans cette affaire, nous entraverons les roues de la justice. Celui qui demande les faveurs de Saint-Marc doit d’abord les gagner en montrant son zèle.

Telles étaient les réflexions du signor Gradenigo en retournant dans son cabinet après avoir fiait un salut cérémonieux au jeune duc. Fermant la porte, il recommença à marcher dans le petit appartement, de l’air d’un homme qui réfléchit avec anxiété. Après une minute d’un profond silence, une porte cachée par la tapisserie fut ouverte avec précaution, et le visage d’un nouveau visiteur parut.

— Entre ! dit le sénateur, ne trahissant aucune surprise à cette apparition : l’heure est passée, et je t’attends.

Un vêtement flottant, une barbe grise et vénérable, des traits nobles, un œil prompt et soupçonneux, et une expression de visage peut-être aussi remarquable par sa sagacité que par un sentiment de longue humiliation, annonçaient un juif du Rialto.

— Entre, Osée, et débarrasse-toi de ton fardeau, continua le sénateur, comme une personne préparée à quelque communication habituelle. Y a-t-il quelques nouvelles concernant le bien public ?

— Que béni soit le peuple sur qui s’étendent des soins si paternels ! Peut-il y avoir quelque chose de bon ou de mauvais, noble signore, sans que les entrailles du sénat s’émeuvent comme une mère à l’égard de ses enfants ? Heureuse est la contrée sur laquelle hommes d’un âge avancé et dont le tête est blanchie veillent la nuit et le jour, oubliant leur fatigue, dans le désir de faire le bien et d’honorer la république !

— Tu te laisses aller aux figures orientales du pays de tes pères, bon Osée, et tu oublies facilement que tu n’es plus sur les marches de ton temple. Qu’y a-t-il d’important aujourd’hui ?