Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teau de la montagne, et les piétons continuaient à s’en servir. Le temps en avait rétréci la largeur, et les arbres le couvraient presque entièrement de leurs branches. Le caractère sauvage, hardi et retiré de ce sentier fit éprouver à Ève une telle sensation de plaisir, qu’elle ne put s’empêcher de l’exprimer. Pendant qu’ils le suivaient, ils entrevoyaient de temps en temps le lac et le village, et ceux qui ne connaissaient pas encore cet endroit en faisaient l’éloge à chaque instant.

— La plupart de ceux qui voient cette vallée pour la première fois, dit Aristobule, trouvent quelque chose à dire en sa faveur ; quant à moi, je la regarde aussi comme assez curieuse.

— Curieuse ! s’écria Paul. Monsieur est du moins singulier dans le choix de ses expressions.

— Vous l’avez déjà rencontré, dit Ève en riant, car elle était alors d’humeur à rire de la moindre bagatelle ; nous le savons très-bien ; ne nous avait-il pas préparés à voir un poëte, quand nous n’avons trouvé qu’un ancien ami !

— Qu’un ancien ami, miss Effingham ! — Faites vous donc tant de cas des poëtes et si peu des anciens amis ?

— Cet homme extraordinaire, M. Aristobule Bragg, dérange réellement toutes les idées, au point de changer même la signification ordinaire des mots, à ce que je crois. Il est si à son aise et si gauche, si rusé et si novice, si peu propre à ce qu’il est et si prêt à être toute autre chose, que je sais à peine de quels termes me servir pour tout ce qui a quelques rapports avec lui ; je crains qu’il ne vous ait persécuté depuis votre arrivée à Templeton ?

— Point du tout. Je connais assez bien les gens de sa caste pour savoir comment agir avec eux. M’étant aperçu qu’il me soupçonnait la disposition de faire des vers sur le lac, j’ai eu soin d’en griffonner à la hâte une couple, comme le premier jet d’une inspiration poétique, et de les laisser tomber dans un endroit où j’étais sûr qu’il les trouverait, et j’ai vécu huit jours de la renommée qu’ils m’ont value.

— Vous avez donc le goût de la poésie ? demanda Ève avec un sourire un peu malin.

— Je suis aussi éloigné de l’ambition d’être poëte, que je le suis du désir d’épouser l’héritière du trône d’Angleterre, ce qui, je crois, est maintenant le but de tous les Icares de notre temps. Je ne suis qu’un plagiaire, car le distique qui m’a couvert de gloire