Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous suffit de savoir que vous êtes le père de Paul. Nous ne désirons, nous ne voulons rien entendre de plus.

— Vous parlez suivant votre cœur, Ève ; mais ce n’est pas là ce que je crois que mon devoir me prescrit. Nul soupçon ne doit peser sur la mère de Paul par égard pour la sensibilité de son père. Votre affection pour moi vous fait agir inconsidérément envers Paul.

— Je vous prie, mon cher Monsieur, de ne pas trop penser à moi ; consultez entièrement votre jugement, votre bon sens. — En un mot, mon père, songez à vous plutôt qu’à moi.

— Je vous remercie, mes enfants. Quel mot, Édouard ! quelle nouvelle sensation il éveille en moi ! — Je sens toute votre affection mais si vous voulez consulter la tranquillité de mon esprit, si vous désirez que je retrouve mon respect pour moi-même, vous me permettrez de décharger mon cœur d’un poids qui l’accable. C’est un langage bien fort ; mais quoique je n’aie à faire l’aveu ni de crimes commis de propos délibéré, ni de vices réels, il est à peine trop fort pour les faits que j’ai à vous rapporter. — Ici, John Effingham se tut comme pour recueillir ses idées, et quelques instants après il reprit la parole d’un ton si calme et si distinct que ceux qui l’écoutaient ne perdirent pas une syllabe de ce qu’il disait. — Votre père sait fort bien, Ève, quoique ce soit peut-être une chose nouvelle pour vous, que j’avais conçu pour votre sainte mère une passion telle que peu d’hommes en ont jamais éprouvé pour une femme. Votre père et moi nous recherchions ses bonnes grâces en même temps, quoique je puisse dire avec vérité, Édouard, qu’aucun de nous ne regarda jamais l’autre avec les yeux d’un rival.

— Vous ne faites que me rendre justice, John ; car si l’affection de ma chère Ève pouvait m’occasionner quelque chagrin, c’était par celui qu’elle vous causait.

— J’eus en outre la mortification d’être obligé d’approuver le choix qu’elle fit ; car certainement, en ce qui concernait son propre bonheur, votre mère, Ève, agit plus sagement en en confiant le soin aux vertus douces, tranquilles et nobles de votre père, qu’elle ne l’aurait fait en plaçant toutes ses espérances sur un caractère aussi violent que le mien.

— C’est être injuste envers vous-même, John ; vous pouvez avoir été quelquefois opiniâtre et un peu sévère ; mais violent ! jamais, surtout envers une femme.