Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/371

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— Dites-en ce qu’il vous plaira ; je n’étais pas propre à rendre une femme qui joignait une douceur si angélique à une âme si élevée, aussi complètement heureuse qu’elle méritait de l’être, et que vous l’avez rendue tant qu’elle est restée sur la terre. J’eus le courage de ne pas m’éloigner après avoir appris que mon cousin avait la préférence, et par ménagement pour ma sensibilité, Édouard, vous fûtes assez bon pour différer de deux ans votre mariage. Alors, blessé dans mon orgueil, froissé dans mes affections, et plein d’un ressentiment dirigé contre moi plutôt que contre vos parents, Ève, je quittai ma famille avec la détermination désespérée de ne jamais la revoir. Ce n’est pas que je m’avouai cette résolution, mais elle était cachée au fond de mon cœur, qu’elle déchirait comme un cancer secret ; et quand je partis pour m’éloigner de la scène d’un bonheur dont j’avais été témoin forcé, ce fut ce qui me fit changer de nom, et prendre des arrangements absurdes et extravagants pour abandonner mon pays natal.

— Pauvre John ! s’écria involontairement son cousin ; si nous l’avions su, c’eût été un coup funeste porté à notre bonheur.

— J’en étais certain, Édouard, même quand je souffrais le plus du coup que vous m’aviez porté, vous, sans le vouloir ; mais les passions sont des tyrans qui ne raisonnent point. Je pris le nom de ma mère, je changeai de domestique, et j’évitai toutes les parties du pays où j’étais connu. À cette époque, je tremblais pour ma raison, et il me vint à l’idée que, par un mariage soudain, je pourrais extirper de mon cœur l’ancienne passion dont j’étais si près d’être victime, en y introduisant quelque partie de cette affection plus douce qui paraissait vous rendre si heureux, Édouard.

— En vérité, John, ce projet était une éclipse temporaire de votre raison.

— C’était tout simplement l’effet de passions sur lesquelles la raison n’avait jamais appris à exercer assez d’empire. Le hasard me fit connaître miss Warrender dans les États du midi, et elle paraissait, à ce que je m’imaginais, devoir réaliser tous mes projets étranges de bonheur et de ressentiment.

— De ressentiment, John !

— Je crois qu’il faut que je l’avoue, Édouard, dussé-je m’exposer au vôtre. — Je fis la connaissance de miss Warrender sous le nom de John Assheton, et il se passa quelques mois avant que je me déterminasse à mettre à exécution l’étrange projet que j’avais conçu. Elle était jeune, belle, bien née, vertueuse et