Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/387

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-même, faire quelque chose qui est bien pire que de danser ?

— Vous m’épouvantez, commodore ; que peut avoir fait une de mes filles qui soit pire que de danser ?

— Si vous voulez tout savoir, Madame, je crois qu’il est de mon devoir de vous le dire. Hier matin, entre sept et huit heures, j’ai vu Alfuma Anne, — le commodore ne savait véritablement pas le nom de cette jeune fille, — sauter à la corde. Je l’ai vue, Madame, aussi vrai que j’espère revoir le sogdollader.

— Et vous appelez cela pire que de danser ?

— Infiniment pire, suivant moi, Madame car c’est danser sans musique, et sans aucune grâce, — particulièrement de la manière dont miss Alfuma Anne s’en acquittait.

— Vous aimez à plaisanter, commodore ; sauter à la corde n’est pas défendu dans la Bible.

— Si je la connais bien, il n’y est pas défendu davantage de danser, ni même de jouer aux cartes, quant à cela.

— Mais c’est une perte de temps, — une perte coupable d’un temps précieux ; — c’est donner l’éveil à toutes les passions, et s’éloigner du droit chemin.

— C’est cela même ; miss Alfuma Anne allait chercher de l’eau à la pompe, — et j’ose dire que vous l’y aviez envoyée, — et elle perdait son temps. Et quant à donner l’éveil aux passions, elle n’a joui du plaisir de sauter qu’après que la fille de votre voisine et elle se furent disputé la corde en se prenant aux cheveux comme deux dragons. Croyez-en ma parole, Madame, il n’y manquait qu’un violon discordant pour en faire un péché de gros calibre.

Tandis que le commodore tenait ainsi mistress Abbot en échec, le capitaine Truck, après avoir averti son compagnon par un clin d’œil, s’occupait à jouer un tour pratique à la pieuse dame. Un des amusements de ces deux vétérans, qui étaient devenus amis déclarés, et qui ne se quittaient presque plus, était, après avoir péché autant de poisson qu’ils en désiraient, d’aller s’asseoir près d’une source, et d’y allumer, l’un son cigare et l’autre sa pipe ; et quand ils étaient las de discuter sur les hommes et les choses, ils se délassaient en faisant une partie de cartes sur une vieille souche qui leur servait de table. Le capitaine Truck avait dans sa poche le jeu qui leur avait servi dans tant d’occasions, ce qui était rendu incontestable par le fait que le dessus des cartes était marqué de tant de taches qu’il était presque aussi facile de les