Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/388

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reconnaître de ce côté que de l’autre. Il montra ce jeu secrètement à son compagnon, et pendant que mistress Abbot était entièrement occupée de l’annonce qu’on lui faisait d’une faute grave commise par sa fille, il le glissa adroitement, as, rois, dames, valets et toute la pretintaille, dans le panier à ouvrage de cette dame. Dès qu’il eut réussi dans cet exploit, il fit un signe à son complice pour lui apprendre que le but de la conspiration était atteint. Alors le commodore commença à mettre peu à peu moins de chaleur dans sa controverse théologique, sans pourtant cesser de soutenir jusqu’à la fin que sauter à la corde était un péché, quoiqu’il fût possible que ce ne fût qu’un péché véniel. On ne peut guère douter que, s’il eût eu à sa disposition quelques phrases bien ourdies, et le talent de les appuyer par quelques textes tirés de la Bible, il aurait pu faire des prosélytes, et devenir le fondateur d’une nouvelle secte de chrétiens ; car tant que les hommes continueront à violer les commandements de Dieu les plus clairs, en ce qui concerne l’humilité, la charité et l’obéissance ; il paraît que rien ne leur fera plus de plaisir que d’ajouter au catalogue des offenses contre sa suprématie divine. Peut-être fut-il heureux pour le commodore, qui s’entendait parfaitement à amorcer et à jeter une ligne, mais qui avait coutume d’appeler ses poings à l’aide de ses arguments quand il se trouvait serré de trop près, que le capitaine Truck eût alors le loisir de venir à son secours.

— Je suis surpris, Madame, dit le vieux marin, qu’une femme menant une vie aussi sainte que la vôtre, puisse nier que sauter à la corde soit un péché ; car je regarde ce point comme décidé depuis cinquante ans par tous ceux qui partagent nos opinions religieuses. — Vous conviendrez qu’on ne peut bien sauter à la corde sans légèreté ?

— Légèreté, capitaine Truck ! J’espère que vous ne voulez pas donner à entendre qu’une fille dont je suis la mère ait montré des symptômes de légèreté ?

— Pardonnez-moi, Madame, car j’ai entendu dire que personne ne saute mieux qu’elle à la corde dans tout le village, et la légèreté est la principale qualité qui est nécessaire pour réussir dans cet art. Ensuite cet exercice ne consiste qu’à faire sans cesse et coup sur coup de « vaines répétitions » de la même chose, et les « vaines répétitions » nous sont défendues même dans nos prières. Je puis appeler les pères et les mères en témoignage de ce fait.