Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/6

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et qui souffrent ensuite que leurs femmes et leurs filles reprennent ces occupations dégradantes auxquelles le beau sexe paraît condamné en Amérique. Il pensait à ce qui fait la base de la vie sociale, au lieu de rechercher ce qui ne sert qu’à l’ostentation. M. Effingham avait assez de bon sens comme homme du monde, et de raison comme homme juste, pour permettre aux êtres dont le bonheur dépendait de lui, de jouir équitablement avec lui des faveurs que la Providence lui avait accordées avec tant de libéralité. En d’autres termes, il rendit deux personnes heureuses en payant généreusement une femme de charge ; d’abord sa fille, en la dispensant de soins qui n’entraient pas plus dans le cercle de ses devoirs, que celui de balayer le devant de la porte de la maison ; et ensuite une femme respectable, qui fut charmée de trouver une si bonne place. Par ce moyen aussi simple que raisonnable, Ève fut à la tête d’une des maisons les plus tranquilles, les plus véritablement élégantes, et les mieux ordonnées de toute l’Amérique, sans être obligée d’y consacrer plus de temps que celui qui était nécessaire pour donner quelques ordres le matin, et pour examiner quelques comptes une fois par semaine.

Une des premières et des plus agréables visites qu’Ève reçut fut celle de sa cousine Grace Van Courtlandt, qui était à la campagne lorsqu’elle arriva, mais qui se hâta d’accourir à New-York, dès qu’elle apprit son retour, pour revoir sa parente et sa compagne de pension. Ève Effingham et Grace Van Courtlandt étaient filles de deux sœurs, et elles étaient nées à un mois l’une de l’autre. Comme la dernière était orpheline, elles avaient passé ensemble une grande partie de leur temps, jusqu’au moment où Ève quitta l’Amérique, ce qui rendit leur séparation inévitable. M. Effingham avait eu dessein d’emmener sa nièce en Europe ; mais l’aïeul paternel de celle-ci vivait encore ; il fit valoir son âge et son affection pour s’opposer à ce projet, et M. Effingham y renonça, quoiqu’à regret. Depuis ce temps l’aïeul de Grace était mort, et elle était restée presque maîtresse de ses volontés, avec une fortune considérable.

Le moment de la réunion de ces deux jeunes personnes, dont le cœur était aimant, et qui étaient sincèrement attachées l’une à l’autre, fut pour toutes deux un moment plein d’intérêt, quoique mêlé de quelque inquiétude. Elles conservaient l’une pour l’autre la plus tendre amitié ; mais le temps qui s’était écoulé depuis leur séparation avait fait naître en elles tant de nouvelles