Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/135

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ment nous avions le cap vers la terre ; et nous étions d’un quart ou deux au vent du phare de Dungeness ayant aussi pour nous le flot, autant que nous en pouvions juger par la marche rapide de notre bâtiment.

Mon parti fut pris en une minute. Je ne savais ni où il y avait des batteries, ni où chercher protection. Mais là était la terre, et je me déterminai à y porter de toute la vitesse de nos voiles. J’espérais que nous pourrions être à la côte avant que le lougre pût nous accoster. Quant à son feu, je ne croyais pas avoir à le redouter, car c’eût été attirer sur ses trousses quelque croiseur anglais, et la France était à quelques heures de distance. Je m’empressai de hisser les voiles de misaine et de perruche ; de brasser au vent, de mollir les écoutes, et le brig marcha joliment. Certes l’Amanda n’était pas la plus fine voilière ; mais elle semblait cette nuit-là partager notre peur. Je ne l’avais jamais vue filer si rapidement, eu égard au vent, et il y eut un moment où je crus qu’elle conserverait son avantage, le lougre semblant lancé à sa plus grande vitesse. Mais c’était une illusion ; il se glissa bientôt après nous plutôt comme un serpent marin que comme une machine activée par des voiles. Je vis bientôt que lutter de voiles avec un pareil jouteur, c’était chose impossible.

La terre et le phare étaient alors tout près de nous, et je m’attendais à chaque instant à entendre la quille du brig labourer le fond. Au même instant je crus entrevoir un bâtiment mouillé à l’est de la pointe, à la distance d’environ un quart de mille. L’idée me frappa que ce pouvait être un croiseur anglais, car ils jetaient souvent l’ancre dans des endroits semblables, et je criai presque machinalement : Lofe tout ! Neb était au gouvernail, et au ton dont il me répondit, je vis qu’il était enchanté. Il était temps ; car, en venant au vent, l’Amanda frôla le fond, de manière à nous donner un avant-goût de ce qui serait arrivé une minute plus tard ; toutefois, elle obéit merveilleusement à la barre, et nous doublâmes la pointe de terre la plus proche, sans recevoir d’autre avertissement, faisant tête à la lame, juste assez pour nous tenir un peu au vent du bâtiment à l’ancre. L’instant d’après, le lougre, à une encâblure de nous, fut masqué par la terre. J’avais alors grand espoir qu’il serait obligé de changer de bord, mais il avait bien mesuré sa distance, et il sentait sans joute qu’il passerait. Il fit probablement le raisonnement qu’on prête à Nelson ou du moins à quelques-uns de ses capitaines au Nil, que, s’il y avait assez d’eau pour nous, il y en aurait assez pour lui. Une minute après, je le vis courir au plus près, lofer pour passer la pointe, et arriver dans nos eaux aussi aisément que si quelque aimant l’y attirait.