Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/136

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Pendant tout ce temps, rien ne troublait le silence de la nuit ; pas un cri, pas un appel, à l’exception des ordres donnés sur notre bord, encore l’étaient-ils à voix basse. Quant au bâtiment mouillé, il semblait ne se donner aucun souci ; il était là, sur ses ancres, beau navire, bâtiment de guerre, à ce qu’il me semblait, comme un oiseau de mer qui dort sur son élément. Nous étions directement entre lui et le lougre, et il est possible que les hommes de quart ne vissent pas celui-ci. Les trois bâtiments n’étaient qu’à une encâblure l’un de l’autre. Les cinq minutes qui allaient suivre devaient être décisives. J’étais sur le gaillard d’avant, dévorant des yeux tout ce que je pouvais découvrir du navire, de sa forme, de ses dimensions, de son gréement, à mesure qu’ils devenaient plus distincts, et je le hélai :

— Oh ! du vaisseau !

— Oh ! le nom du brig !

— Américain, avec un lougre français droit dans nos eaux ; remuez-vous un peu !

J’entendis cette rapide exclamation : voilà bien le diable ! — Puis, celle-ci : maudits Yankees[1]. Enfin on appela tout le monde en haut. Il était évident que mon avis avait mis tout l’équipage en mouvement. Talcott accourut alors à l’avant, pour me dire qu’il pensait, à quelques mouvements qui avaient lieu à bord du lougre, que l’on commençait à soupçonner le voisinage du navire. La manière dont on avait appelé « tout le monde en haut » m’avait cruellement désappointé ; c’était celle d’un bâtiment marchand plutôt que d’un vaisseau de guerre ; mais nous étions trop près pour que nos doutes ne fussent pas bientôt dissipés.

— C’est un bâtiment anglais, frété pour les Indes occidentales, monsieur Wallingford, dit un de mes plus vieux matelots ; il a perdu ou quitté son convoi.

— Savez-vous quelque chose du lougre ? demanda un officier d’une voix qui n’avait rien de très-amical.

— Rien que ce que vous voyez. Voilà vingt minutes qu’il me donne la chasse.

D’abord on ne répondit rien ; puis on me demanda de courir un bord, afin de donner le temps de se reconnaître, en l’attirant pour quelques minutes à quelque distance. — Nous sommes armés, et nous viendrons à votre secours.

Si j’avais eu dix ans de plus, j’aurais su quel fonds on peut faire

  1. Sobriquet donné aux Américains.