Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/334

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coup moins sur les principes que sur les bonnes manières. J’ai remarqué que les personnes de bon ton, qui se respectent, en sont généralement exemptes, tandis que j’ai connu quelques ardents professeurs de morale qu’on pourrait citer comme le beau idéal de la médisance.

Mes passagers, comme je le disais, ne tardèrent pas à se faire connaître. Les dames se nommaient Sarah et Jane ; et grâce à elles et à Wallace Mortimer, que d’intérieurs de familles me furent révélés, avec plus ou moins d’exactitude ! Je me rappelle encore la première scène de l’acte premier de cette comédie, qui se prolongea pendant toute la traversée sans autre interruption qu’un tout petit entracte de quelques jours, que nous dûmes au mal de mer.

— Wallace, dit Sarah, ne nous avez-vous pas dit que John Viner avait refusé de prêter vingt mille dollars à son gendre pour le tirer d’embarras, et que celui-ci avait dû faire faillite par suite de ce refus ?

— Sans doute. On ne parlait que de cela hier dans Wall Street, et tout le monde le croit. — Cette nouvelle était tout aussi vraie que les mille bruits qui ont tué si souvent le général Jackson depuis vingt ans. — Oui, personne n’en doute ; mais tous les Viner sont ainsi faits. Dieu merci, dans notre partie du monde, chacun sait ce qu’il faut penser des Viner.

— Cela ne m’étonne pas, reprit Jane. J’ai entendu dire que le père de ce John Viner avait couru une fois à toutes jambes d’un bout de Boston à l’autre, pour échapper à un créancier de ce même fils, qui est aussi des malheurs dans sa jeunesse.

— L’histoire doit être vraie en partie, riposta Wallace, quoique sur un point elle ne soit pas tout à fait exacte ; en ce que ce John n’avait qu’une jambe, et que par conséquent il ne pouvait être question pour lui de courir.

— Alors, c’était sans doute son cheval qui courait pour lui, ajouta Jane sans se déconcerter. Il faut bien que quelque chose ait couru ; autrement où aurait-on été chercher cette histoire ?

Je me trouvais connaître les Viner, et j’étais certain qu’il n’y avait pas un mot de vrai dans l’histoire des vingt mille dollars ; car j’avais appris toutes les circonstances de la faillite de la bouche d’un de mes anciens armateurs, qui était lui-même créancier pour une somme considérable.

— Êtes-vous bien sûr, dis-je pour rétablir les faits, que la faillite de John Viner et Cie tienne à la circonstance dont vous parlez, monsieur Brigham ?