Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/107

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Cela fut dit si naturellement que j’en fus moins choqué que surpris. Je savais que Jacques Wallingford aimait l’argent, et quand cette passion est portée à un certain degré, elle fausse le jugement et fait quelquefois heurter les convenances. J’aurais voulu que mon cousin n’eût pas parlé ainsi, mais mes intentions en sa faveur n’en étaient nullement ébranlées.

— Vous êtes plus disposé à conseiller à vos amis de se marier qu’à leur donner l’exemple, répondis-je, voulant détourner un peu la conversation. Vous qui avez près de cinquante ans, vous êtes encore garçon.

— Et je resterai tel toute ma vie. Il y a eu un temps où j’aurais pu me marier, si j’avais été riche ; maintenant que je suis raisonnablement riche, je trouve d’autres objets pour y attacher mes affections. Mais ce n’est pas une raison pour que vous ne me laissiez pas Clawbonny, quoiqu’il soit probable que je ne vivrai pas assez pour en hériter. Néanmoins, c’est un bien de famille, et il ne doit pas sortir du nom. Je craignais toujours, si vous aviez fait naufrage, ou si vous aviez été enlevé par une de ces fièvres pernicieuses qui emportent quelquefois les marins, que le bien ne passât à des femmes, et qu’il n’y eût plus un Wallingford à Clawbonny. Miles, je ne vous envie pas du tout cette propriété ; jouissez-en tant que vous pourrez, cousin ; mais ce serait pour moi un crève-cœur de tous les diables de savoir que c’est un de ces Hazens, ou de ces Morgans, ou ces Vander-Schamps, qui en seraient en possession. — C’étaient les noms des enfants d’autant de miss Wallingford, mes tantes ou grand-tantes. — Quelques-uns peuvent être plus rapprochés de vous d’un demi degré peut-être, mais aucun ne tient d’aussi près à Clawbonny — c’est un Wallingford qu’il faut à Clawbonny.

Cet aplomb imperturbable m’amusait malgré moi, et j’étais disposé à poursuivre la conversation, pour mieux connaître le caractère de mon cousin.

— Et si nous ne nous marions ni l’un ni l’autre, et que nous mourions garçons, lui dis-je, que deviendra Clawbonny pour le coup ?

— J’y ai pensé, Miles, et voici ma réponse. Si cela arrive, et qu’il ne reste aucun Wallingford, du moins aucun Wallingford ne vivra pour savoir que c’est un Van-der-dunder-Schamps — je m’embrouille avec tous ces noms hollandais — qui demeure dans la maison de ses