Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/25

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marin. Dans mon idée, c’est le meilleur ancrage que j’aie rencontré depuis longtemps. Savez-vous bien qu’il y a de quoi faire venir l’eau à la bouche. Parlez-moi de ça ! on pourrait vivre ici tout seul, sans devenir absolument un de vos ermites infernaux.

La vieille femme ouvrit de grands yeux en regardant Marbre, comme si elle ne savait à quelle sauce mettre ce singulier original ; et cependant son air était doux et indulgent.

— Je conçois, reprit-elle, que des bateliers préfèrent un autre endroit, parce qu’il n’y a point de taverne ici ; tandis qu’à droite et à gauche il y en une à deux milles de distance.

— Vous me faites souvenir que nous nous sommes présentés à votre porte un peu cavalièrement, dis-je à mon tour ; mais vous excuserez des marins qui n’ont pas l’intention d’être indiscrets, quoiqu’ils le soient souvent malgré eux en abordant.

— Vous êtes mille fois les bienvenus ; ceux qui savent respecter les vieilles gens, et leur parler avec bonté, je suis bien aise de les voir ; pour les autres, je les plains et je leur pardonne. Quand on est arrivé à mon âge, on sent tout le prix d’une bonne parole et d’un accueil cordial ; car on n’a plus longtemps à en espérer de personne, ni à en faire jouir ses semblables.

— Cette disposition si bienveillante pour les autres vient sans doute de la vie si paisible que vous coulez dans ce charmant endroit.

— Dites plutôt qu’elle vient de Dieu ; lui seul est la source de tout ce qu’il y a de bon en nous.

— Sans doute, mais un lieu pareil doit avoir aussi de l’influence sur le caractère. Je suis sûr qu’il y a longtemps que vous habitez cette maison, qui est plus vieille que vous, n’est-il pas vrai ? — Peut-être, depuis votre mariage ?

— Et bien avant, aussi, Monsieur. Je suis née dans cette maison, et mon père aussi.

— Voilà qui n’est pas très-encourageant pour mon ami, qui s’est pris d’une telle passion pour cette demeure, qu’il voulait l’acquérir. Je vois qu’il fera bien d’y renoncer à présent.

— Votre ami n’a donc point une maison où il demeure avec sa famille ?

— Ni maison, ni famille, ma bonne dame, répondit Marbre pour lui-même ; et c’est pour cela que je n’ai pas de temps à perdre, si je veux jamais en avoir. Je n’ai jamais eu ni père ni mère à moi