Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/26

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connus ; ni demeure ni habitation d’aucun genre, autre qu’un navire. J’oubliais : j’ai été ermite une fois ; oui, c’est un métier dont j’ai essayé, et j’avais alors une grande île à moi tout seul ; mais je n’ai pas tardé à rendre tout à la nature, et je me suis enfui à toutes jambes. Le rôle ne m’allait pas.

La vieille femme regarda Marbre attentivement. Ce langage brusque, franc et simple à la fois du lieutenant, l’avait singulièrement frappée.

— Ermite ! répéta-t-elle avec curiosité ; j’ai souvent entendu parler d’ermites ; j’ai lu beaucoup d’histoires sur leur compte ; mais je ne me les figurais pas du tout comme vous.

— Nouvelle preuve que je n’étais pas fait pour le métier. Avant de se faire ermite, il faut sans doute connaître quelque chose de ses ancêtres, de même qu’on regarde la généalogie d’un cheval, avant de décider s’il est propre à disputer un jour le prix dans les courses. Or, comme il se trouve que je ne connais pas la mienne, il n’est pas étonnant que je sois un ermite manqué. C’est singulier, n’est-ce pas, qu’un homme naisse sans nom ?

L’œil de notre hôtesse était toujours brillant et animé, et je n’ai jamais vu de regard plus perçant que celui qu’elle jeta sur le ci-devant ermite, pendant qu’il débitait sa tirade sentimentale avec ce ton qu’il prenait dans ses accès de misanthropie.

— Et vous êtes né sans nom ? demanda-t-elle avec un intérêt marqué.

— Absolument. Tout le monde naît avec un seul nom, moi je suis né sans nom du tout.

— Cela est si extraordinaire, Monsieur, ajouta notre hôtesse, qui semblait prendre aux tribulations du pauvre Marbre une part plus vive que je ne l’aurais cru possible de la part d’un étranger, — que j’aimerais à savoir comment la chose a pu se faire.

— Je suis tout prêt à vous satisfaire, ma bonne dame ; mais, comme un service en mérite un autre, je vous demanderai de répondre d’abord à quelques questions sur la propriété de cette maison, le jardin et le verger. Après votre histoire viendra la mienne.

— Je vois ce que c’est, s’écria la vieille femme alarmée. Vous êtes envoyés ici par M. Van Tassel, pour prendre des informations au sujet de la dette hypothécaire, et pour savoir si elle sera payée ou non.