Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/57

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révéler. J’ai pensé qu’elle en éprouverait quelque soulagement, et du moins, sous ce rapport, je ne me suis pas trompée ; car elle repose à présent.

— Et c’est donc une bien lamentable histoire !

— Oh ! Miles, figurez-vous que Grace n’avait que quinze ans quand ils se sont donné leur foi, non pas en l’air, comme des enfants dont le vent emporte les paroles, mais sérieusement, solennellement.

— Et d’où est provenue la rupture ?

— De Rupert, qui aurait dû mourir avant de manquer ainsi à tout ce qu’il devait à mon père, à moi, à nous tous, Miles, et surtout à lui-même. Nous avions bien deviné : il s’est laissé séduire, fasciner, par ce prestige qui s’attache aux Merton dans notre atmosphère provinciale. J’ai le cœur trop navré pour ne pas m’ouvrir entièrement à vous. Votre amitié m’est trop connue pour que je craigne de vous voir prendre avantage de mes paroles contre mon pauvre frère. Qui mieux que vous, si franc, si ouvert, si loyal, doit connaître les imperfections de son caractère ?

Plus Lucie accusait son frère, moins il m’était possible d’être sévère pour lui. — Je sais, répondis-je, qu’il est capricieux, et qu’il s’est toujours trop rendu l’esclave de la mode, et de l’opinion du monde.

— Ne cherchons pas à nous abuser, reprit la candide enfant, quoiqu’elle fît un si violent effort sur elle-même, que c’était à peine si je distinguais ses paroles, — Rupert a des défauts plus graves. Il est intéressé, et il n’est point vrai. Dieu sait que de larmes il m’a fait verser, que de peines j’ai prises pour qu’il s’amendât ! Mon excellent père ne voit rien, lui ; ou, s’il voit, il espère toujours. Il est si triste pour un père de penser qu’il n’y a plus de ressource pour son enfant !

La voix, la figure, toute la personne de Lucie, indiquait si clairement tout ce qu’elle éprouvait en parlant ainsi de Rupert, que je ne voulus pas la laisser continuer. Il semblait qu’elle voulût, à force de franchise, atténuer les torts de son frère, et amortir le coup qu’il avait porté ; mais il était évident qu’elle souffrait le martyre, et il y aurait eu peu de générosité à permettre qu’elle poussât le sacrifice plus loin qu’il n’était rigoureusement nécessaire.

— Épargnez-vous, épargnez-moi, ma chère Lucie, dis-je vivement, toutes les explications qui ne seraient pas indispensables pour