Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/200

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dit, c’est assez d’un soldat dans une famille comme la nôtre. Nous sommes tous pour lui dans des craintes continuelles, et il peut nous faire porter le deuil à tous.

Le major Willoughby devint pensif en entendant ces paroles, et garda un instant le silence.

— Je cause déjà des inquiétudes mes parents, répondit-il enfin, pourquoi augmenterais-je celles de mon excellente mère en persuadant à son mari de reprendre du service ? Vraiment, je ne sais que faire.

— Ne l’engagez pas à cela, mon cher Robert ; votre profession rend ma mère assez malheureuse, n’ajoutez pas à ses chagrins. Rappelez-vous que trembler pour une personne c’est suffisant pour une femme.

— Ma profession rend ma mère malheureuse ! s’écria le jeune homme qui ne pensait qu’à son père à cet instant. Beulah n’a-t-elle donc jamais exprimé d’inquiétude pour moi, ou ses nouveaux devoirs ont-ils complètement chassé son frère de son souvenir ? Je sais que c’est peine si elle peut me souhaiter des succès ; mais elle peut cependant montrer quelque intérêt pour un frère unique. Nous ne sommes que deux.

Maud tressaillit, comme si quelque objet effrayant lui eût passé devant les yeux ; mais elle garda le silence déterminée à entendre ce qui allait suivre. Robert Willoughby s’était tellement accoutumé à penser que Beulah était sa seule sœur, que ces paroles lui échappèrent malgré lui. Cependant, dès qu’il les eut prononcées, la pensée de l’effet qu’elles pouvaient avoir produit sur Maud traversa son esprit. Ignorant tout à fait la nature des sentiments de Maud pour lui, il n’avait jamais osé faire un aveu direct des siens, car il lui semblait qu’une sœur serait naturellement choquée d’entendre de la bouche de son frère la déclaration d’un pareil attachement, et il s’imaginait que la délicatesse et l’honneur l’obligeraient à emporter son secret avec lui dans le tombeau. Deux minutes de franche explication pouvaient dissiper à jamais tous ces scrupules ; mais comment entamer ce sujet ? c’était un obstacle que le jeune homme avait toujours trouvé insurmontable. Quant à Maud, elle ne connaissait qu’imparfaitement son propre cœur ; à la vérité elle avait bien quelques lueurs de ses sentiments, mais c’était à travers des impulsions soudaines et involontaires qui se mêlaient étrangement ses affections. Depuis qu’elle avait cessé