Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/47

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Les neuf dixièmes des nègres de New-York et de tout le pays à trente milles à la ronde étaient alors répandus dans la plaine ; les uns battaient du tambour, d’autres chantaient des chansons africaines, un grand nombre étaient à boire, tous riaient à gorge déployée. C’était une scène de bonheur et de gaieté, mais de la gaieté sous sa forme la plus vulgaire. Malgré les copieuses libations qui se faisaient de toutes parts, on ne rencontrait pas un seul homme ivre. C’est chose assez rare qu’un nègre qui se grise. Ce qui distingue cette fête de toutes celles du même genre, des foires et de tous les divertissements champêtres, c’est son caractère africain. Il est vrai qu’il y a aujourd’hui parmi nous peu de nègres d’origine africaine ; mais les traditions et les usages de leur pays primitif se sont perpétués. Ainsi plusieurs faisaient de la musique, en frappant en mesure sur des peaux tendues sur l’extrémité de bâtons creux, tandis que d’autres dansaient et gambadaient de manière à montrer qu’ils éprouvaient un plaisir infini. C’était, dit-on, une imitation des danses et de la musique de leurs ancêtres d’Afrique

Des spectateurs à peau blanche se promenaient en grand nombre au milieu de la fête. On voyait surtout beaucoup d’enfants, et même de jeunes personnes, accompagnées de leurs bonnes ou de leurs nourrices que leurs maîtres n’avaient pas voulu priver de prendre leur part de tous ces plaisirs. Il y avait deux heures que nous nous promenions, et Jason lui-même commençait à oser s’amuser, quand je me trouvai par hasard séparé de mes compagnons ; et, en errant seul à l’aventure, je rencontrai un groupe de jeunes filles, accompagnées de deux ou trois vieilles négresses dont la mise soignée annonçait qu’elles étaient placées dans des familles de distinction. Quant aux jeunes personnes, il y en avait de tous les âges ; depuis la petite pensionnaire jusqu’à la grande demoiselle, depuis le bouton à peine formé jusqu’à la fleur déjà entr’ouverte. Il y en avait même quelques-unes qui avaient déjà toute la grâce de jeunes femmes, une entre autres, qui se distinguait par l’enjouement naïf et l’innocence virginale de ses dix-sept ans. Elle était mise simplement mais avec goût, et tout en elle, manières, tournures, toilette, annonçait une demoiselle de bonne famille, assez âgée pour ne manquer à aucune des conve-