Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/237

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bâtiment, et ce ne fut que lorsqu’il fut assis à côté de son prisonnier qu’il ajouta :

— Monsieur Merry, faites dénouer d’avance tous les nœuds qui retiennent les voiles, et préparez tout pour pouvoir agir avec la plus grande célérité si le besoin l’exige. Souvenez-vous que vos bras ne sont pas nombreux. Adieu ; écoutez-moi : si parmi vous quelqu’un fermait plus d’un œil à la fois, je me charge à mon retour de les lui tenir l’un et l’autre ouverts. Adieu encore une fois, mon cher Merry ; si cette brise de terre continue jusqu’au matin, déployez la voile de tréou. Allons, force de rames !

En donnant ce dernier ordre, il s’enfonça sur son banc, s’enveloppa de son grand manteau, et tout l’équipage garda un profond silence, jusqu’à ce qu’on eût passé les deux promontoires qui formaient l’entrée de la petite baie. Les rames étaient entourées de toiles pour qu’elles fissent moins de bruit, et ceux qui s’en servaient déployèrent toute la vigueur de leurs bras ; la barque avançait avec une rapidité surprenante, dont on pouvait juger par le peu d’objets qui étaient encore visibles le long des côtes. Mais quand ils eurent gagné la pleine mer, et que l’esquif eut changé de direction pour côtoyer le rivage à l’ombre des rochers dont il était hérissé, le contre-maître ne croyant plus le silence nécessaire à leur sûreté, hasarda l’observation suivante :

— Une voile de tréou est une bonne voile pour conduire un petit navire par un bon vent et une mer profonde ; mais si cinquante ans d’expérience suffisent pour qu’on puisse se connaître au vent, mon opinion est que si l’Ariel lève l’ancre après huit heures du matin, il aura besoin de sa grande voile pour se maintenir dans sa course.

Cette remarque interrompit les réflexions du lieutenant. Il fit un mouvement de surprise, rejeta son manteau de dessus ses épaules, et porta un regard sur les eaux, comme pour y chercher les présages fâcheux qui troublaient l’imagination de son contre-maître.

— Comment donc, Tom ! s’écria-t-il, commencez-vous déjà à radoter ? Qu’avez-vous donc vu pour me chanter ainsi une chanson de vieille femme ?

— Ce que je vous dis n’est pas une chanson de vieille femme, répondit le contre-maître avec une gravité solennelle, c’est l’avis d’un homme à qui les années ont donné de l’expérience, et qui a