Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passé sa vie dans des lieux où nulles montagnes n’empêchaient les vents du ciel de souffler sur lui, à moins que ce ne fussent des montagnes d’eau salée et d’écume, et je vous dis que nous aurons un vent du nord-est avant que le quart du matin soit terminé.

Barnstable connaissait trop bien l’expérience de son vieux contre-maître pour que l’opinion qu’il énonçait avec tant d’assurance ne fît pas quelque impression sur lui. Il examina l’horizon, la mer, le firmament, et ne vit rien qui dût lui donner des craintes.

— Pour cette fois, maître Coffin, lui dit-il, vous serez un faux prophète, car tout paraît annoncer un calme profond. La légère agitation des vagues est la suite de la dernière tempête ; les vapeurs qui sont dans l’air ne sont autre chose que le brouillard de la nuit, et vous pouvez voir de vos propres yeux quelles sont emportées en pleine mer. Cette brise de terre n’est nullement redoutable ; elle est chargée d’humidité, mais elle n’a pas plus de vivacité qu’une galiote hollandaise.

— Oui, Monsieur, répliqua Tom Coffin, la brise est humide, et elle n’a pas beaucoup de force ; mais elle ne vient que du rivage, et elle n’avance pas bien loin en mer. Il n’est pas facile d’apprendre les véritables signes du temps, capitaine Barnstable, et ils ne sont bien connus que de ceux qui ne font pas autre chose que de les étudier. Il n’y a qu’un seul être qui puisse voir les vents du ciel, et dire quand un ouragan doit commencer et quand il finira. Et cependant l’homme n’est pas comme une baleine et un marsouin qui mettent le nez hors de l’eau pour respirer l’air, sans savoir s’il leur arrive du sud-est ou du nord-ouest. Regardez sous le vent, Monsieur, voyez cette longue ligne bleue qui brille sous le brouillard ; et croyez-en la parole d’un vieux marin, capitaine, quand on voit la lumière du ciel se montrer de cette manière, ce n’est jamais pour rien. D’ailleurs le soleil s’est couché ce soir sous un banc de nuages noirs et épais, et le peu de lune que nous avons vu annonçait par sa couleur un vent sec.

Barnstable l’écouta avec attention et non sans inquiétude, car il savait que les jugements que portait sur le temps son vieux contre-maître étaient presque infaillibles, malgré les présages superstitieux dont il lui arrivait souvent de les mêler. Cependant il n’en persista pas moins dans son projet, et dit en se rejetant en arrière sur son banc :

— Eh bien ! qu’il souffle ! on pourrait s’exposer à de plus grands