Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/255

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d’apprendre ce qu’on méditait contre son commandant. Il s’approcha donc de la porte, se plaça de manière que la lumière qui sortait de l’appartement ne tombât pas sur lui, et écouta avec grande attention tout ce qui se disait. Le colonel était à sa place ordinaire, le dos tourné vers la porte, et Dillon avait pris celle que Borroughcliffe occupait ordinairement. Il paraissait que le colonel Howard venait d’écouter une relation plus étendue des moyens que son jeune parent avait employés pour tromper son ennemi trop confiant, et il était dans les transports d’une joie bruyante.

— C’est une noble ruse ! s’écriait le vétéran, aussi noble qu’ingénieuse ! une ruse qui aurait trompé César ! C’était un fin capitaine que ce César, Kit ; mais je crois qu’il aurait trouvé en vous son maître. Je veux être pendu si je ne crois pas que vous auriez mis dans l’embarras Wolfe lui-même, si vous aviez été dans Québec au lieu de Montcalm ! Il faut que nous vous voyions dans les colonies avec l’hermine sur les épaules ; on y a besoin, grand besoin d’hommes comme vous, cousin Christophe, pour défendre les droits de Sa Majesté.

— En vérité, Monsieur, votre partialité m’attribue des qualités que je ne possède pas, dit Dillon en baissant les yeux avec un air de modestie hypocrite (car la voix de sa conscience lui parlait plus sévèrement) ; la petite ruse justifiable que…

— C’est en quoi consiste la beauté de l’affaire, s’écria le colonel avec le ton de franchise d’un homme étranger à la fraude et à l’astuce, et en lui passant la bouteille ; vous n’avez pas lâchement tendu un piège ; vous avez employé une ruse de guerre, un stratagème adroit, uni… une déception classique, oui, c’est le terme ; une déception classique, telle que Pompée ou Marc-Antoine, ou… Vous connaissez tous ces vieux noms mieux que moi, Kit ; mais nommez-moi le plus adroit des anciens Grecs ou Romains, et je dirai qu’il n’est qu’un lourdaud si on le compare à vous ; c’est une ruse vraiment lacédémonienne, franche, honnête et loyale.

Il fut très heureux pour Dillon que l’ardeur du colonel, pendant qu’il parlait ainsi, tînt son corps dans un mouvement perpétuel ; car Tom Coffin, armé d’un des pistolets de Borroughcliffe, avait le bras tendu pour sacrifier le traître à sa vengeance, et si le coup ne partit pas, ce fut parce qu’il ne voulait pas se tromper de victime. Peut-être Dillon dut-il aussi la vie en ce moment au