Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/277

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L’ordre fut pourtant exécuté par l’équipage avec une soumission qui semblait celle du désespoir. Dès que les préparatifs furent terminés on jeta les ancres à la mer, après quoi l’on appliqua la hache au pied des mâts. Le bruit des vergues qui tombaient successivement sur le tillac ne parut produire aucune sensation sur l’esprit des marins au milieu de cette scène de dangers compliqués ; ils ne conservaient plus d’espérance, mais ils ne s’en acquittaient pas moins de leurs devoirs. Ils jetèrent à la mer les débris de leurs agrès, et les suivirent des yeux tandis qu’ils flottaient sur l’onde, emportés par les vagues vers les rochers. Ils éprouvaient une sorte de curiosité pénible de voir l’effet que produirait leur choc contre les écueils dont ils étaient si voisins ; mais ces débris disparurent sous l’écume de l’élément furieux. Tout l’équipage de l’Ariel sentit alors qu’on venait de mettre en usage le dernier moyen de salut ; et toutes les fois que le schooner s’enfonçait dans le sein de la mer qui couvrait à chaque instant le tillac, les marins croyaient voir le fer des ancres se détacher du fond, ou entendre se briser les câbles qui y retenaient le navire.

Tandis que tout l’équipage était agité par la vue d’un péril si prochain, Dillon restait sur le pont, l’œil hagard, respirant à peine et les poings fermés. Personne ne faisait attention à lui ; chacun n’était occupé qu’à songer à quelques moyens de sûreté. Il semblait dans l’angoisse du désespoir, et, voulant apprendre si l’on conservait encore quelque chance de salut, il se hasarda à s’approcher du contre-maître appuyé sur son canon et entouré du petit groupe de matelots qui jetaient sur Dillon des regards courroucés qui semblaient le menacer d’une vengeance expéditive, mais que son extrême agitation l’empêchait de comprendre.

— Si vous êtes las de ce monde, lui dit Tom Coffin, quoiqu’il soit probable que ni vous ni moi nous n’avons pas bien longtemps à y rester, vous n’avez qu’à vous approcher de nos matelots. Mais si vous avez besoin de quelques instants pour faire l’addition des comptes de votre voyage sur la terre avant le débarquement en face de votre Créateur, et d’entendre le rapport écrit sur les registres du ciel, je vous conseille de vous tenir le plus près possible du capitaine Barnstable ou de son vieux contre-maître.

— Me promettez-vous de me sauver si le navire fait naufrage ?