Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/278

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s’écria Dillon, entendant avec ravissement les premières paroles d’intérêt qui lui eussent été adressées depuis qu’il se trouvait pour la seconde fois au pouvoir des Américains ; si vous le voulez, je vous promets de vous faire vivre dans l’aisance, dans la richesse, tout le reste de votre vie.

— Vous avez déjà trop mal tenu vos promesses pour la paix de votre âme, lui répondit Coffin avec sévérité, quoique sans amertume : mais je n’aurais pas le cœur de frapper même une baleine quand je la vois perdre tout son sang.

Les nouvelles supplications de Dillon furent interrompues par un cri terrible que poussa tout l’équipage, et qui parut ajouter encore à l’horreur de la tempête. Le schooner s’éleva en même temps sur le sommet d’une énorme vague, retomba ensuite dans l’abîme qu’elle avait entr’ouvert, se releva sur une autre, et fut entraîné vers la côte comme une coquille de noix descendant une cataracte.

— Le câble des ancres est brisé, dit Tom Coffin avec tout le sang-froid que peuvent donner le courage et la résignation ; mais il faut du moins rendre la fin du pauvre Ariel aussi douce que possible.

En parlant ainsi il saisit le gouvernail et donna au navire la direction nécessaire pour que la proue fût la première partie qui touchait les écueils.

Le visage de Barnstable trahit un moment l’angoisse qui l’agitait ; mais presque aussitôt il reprit son ton d’enjouement en s’adressant à son équipage :

— Du courage et du calme, mes enfants, s’écria-t-il, tout espoir n’est pas encore perdu pour vous. Nous tirons si peu d’eau que nous avancerons bien près des brisants, et nous sommes à marée basse. Préparez les barques, armez-vous de fermeté.

À ces mots, l’équipage sortant d’une sorte de stupeur, lança une des barques à la mer. C’était celle que montait ordinairement Tom Coffin. Les marins qui en étaient les rameurs habituels y descendirent, et eurent besoin d’employer tous leurs efforts pour la maintenir sans danger près du schooner. Ils appelèrent à grands cris le contre-maître ; mais Tom secoua la tête sans leur répondre, et resta la main appuyée sur le gouvernail et les yeux fixés sur les brisants vers lesquels le navire s’avançait rapidement. La seconde barque, qui était la plus grande, fut emportée par une