Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/356

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monsieur le pilote, et vous m’excuserez si je ne puis consentir à ce que vous étendiez vos excursions au-delà de l’espace gardé par mes sentinelles. Si vous désirez converser ici avec miss Dunscombe, je ferai retirer mon piquet à une distance suffisante pour qu’on ne puisse vous entendre. J’avoue pourtant que je n’aperçois aucun terrain aussi favorable que celui-ci. Vous devez voir que j’ai un ravin pour assurer ma retraite en cas de surprise, que cette pointe de rocher couvre mon flanc droit, et que je suis appuyé sur ce gros arbre par mon flanc gauche. On pourrait ici, en cas de besoin, opposer à l’ennemi une résistance très-sérieuse, et les plus mauvaises troupes se battent bien quand leurs flancs sont couverts et qu’elles ont en arrière les moyens de faire une retraite régulière.

— N’en dites pas davantage, Monsieur ; je ne voudrais pas vous faire perdre une pareille position. Miss Dunscombe aura peut-être la bonté de consentir à faire quelques pas en arrière.

Ce fut en le suivant que miss Dunscombe lui annonça son consentement, et il la conduisit à quelque distance du piquet de Manuel, vers un endroit où le dernier ouragan avait abattu un vieux chêne. Elle s’assit sur le tronc renversé de cet arbre, paraissant attendre avec patience qu’il voulût bien expliquer le motif qui lui avait fait désirer cette entrevue. Le pilote se promena quelques instants en face de l’endroit où elle était assise, gardant le silence, et plongé dans de profondes réflexions ; enfin il s’approcha d’elle et s’assit à son côté.

— Le moment où nous allons nous séparer est enfin arrivé, Alix, lui dit-il : c’est à vous de décider si ce sera pour toujours.

— Que ce soit donc pour toujours, John, répondit-elle ; et il y avait dans sa voix un accent d’émotion.

— Ce mot eût été moins cruel pour moi, si nous ne nous étions pas rencontrés si inopinément, et cependant votre résolution est peut-être fondée sur la prudence. Qu’y a-t-il dans mon destin qui puisse faire désirer à une femme de le partager ?

— Si vous voulez dire que votre destin est celui d’un homme qui ne peut trouver que bien peu de gens, personne même pour partager son bonheur ou compatir à ses infortunes ; d’un homme dont la vie est une suite continuelle de dangers, de calamités, de désappointements et de revers, vous connaissez bien peu le cœur d’une femme si vous pensez qu’elle ne puisse avoir